Donald Trump a tout raflé au cours de l’élection présidentielle, y compris le vote populaire. Aujourd’hui, les électeurs de Kamala Harris ont la gueule de bois, tellement la défaite est lourde.

Le magazine de la gauche radicale américaine, Jacobin, a livré une analyse qui doit interpeller la gauche française. Il impute la défaite de la candidate démocrate, en premier lieu (mais pas seulement), à l’inflation et il écrit :

« L’Amérique a-t-elle vraiment élu un dictateur parce que les Frosted Flakes ont atteint 7,99 dollars à l’épicerie ? Relisez cette phrase et elle ne semble pas si absurde. Plus profondément, 2024 nous a enseigné une dure leçon : dans une société mondiale définie par la consommation plutôt que par la production, les électeurs détestent les augmentations de prix et sont prêts à punir les dirigeants qui les président. Au cours de la plus grande année électorale de l’histoire moderne, avec des milliards de votants dans le monde entier, les titulaires ont été battus à gauche, à droite et au centre : les conservateurs en Grande-Bretagne, Emmanuel Macron en France, le Congrès national africain en Afrique du Sud, le BJP de Narendra Modi en Inde, le kirchnerisme en Argentine l’automne dernier. Aujourd’hui, l’inflation post-pandémique, aggravée par les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient, a coûté la tête à un autre gouvernement en place. »

La conjonction des résultats électoraux cités (il y en a d’autres qui ont été similaires) est inquiétante. Les politiques libérales et/ou sociales-démocrates portent une lourde responsabilité dans la montée des formations d’extrême droite. En privilégiant les ultra-riches et la finance et en refusant de gouverner pour le peuple, ils récoltent la tempête, laquelle épargnent les ultra-riches et la finance. Ces deux milieux de privilégiés n’hésitent pas à se tourner vers les fascistes quand leurs intérêts sont en jeu.   

Romain Huret, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), interrogé par Télérama et l’Humanité, partage partiellement l’analyse de Jacobin. Mais, comme la gauche radicale américaine, il ne cache pas son inquiétude. Questionné sur l’éventuelle bascule des Etats-Unis dans le fascisme, il répond sans détour :

« Tout est structurellement prêt pour que cela advienne : les facteurs économiques, sociaux et militaires sont là. Un élément très important à avoir en tête est la militarisation du pays depuis le 11 Septembre. Non seulement le pays compte des millions de soldats et de vétérans, mais des pans entiers de la population sont liés au complexe militaro-industriel américain par leur travail ou leurs liens familiaux. Or une corrélation énorme existe entre cet ensemble et le vote Trump. De nombreuses lois d’exception justifiées par la lutte contre le terrorisme ont réduit les libertés. C’est dans ce cadre-là que s’installe le ‘’trumpisme’’, au sein duquel on retrouve par ailleurs le culte de la personnalité, l’anti-intellectualisme et les attaques contre la presse caractéristiques des figures du fascisme. C’est donc envisageable. L’un des garde-fous restants, c’est paradoxalement… l’armée. Les généraux américains n’aiment pas Donald Trump et sont très attachés à la république. Il est possible que le président ne parvienne pas à leur faire faire ce que bon lui semble. »

Les analyses de Jacobin et de Romain Huret ne portent pas à l’enthousiasme ; l’un et l’autre sont moroses. La gauche française saura-t-elle prendre en compte l’analyse du trumpisme ou sombrera-t-elle comme Kamala Harris ?

L’optimisme n’est pas de mise, aux Etats-Unis comme en Europe !