Les lendemains d’élections européennes sont difficiles pour un homme de gauche…
Ses divisions, incompréhensibles au niveau qu’on a connu, ne sont pas la seule cause de sa débâcle. Et je crains que ses composantes se cachent derrière cet alibi pour ne pas analyser sereinement et complètement ses résultats.
Les gilets jaunes, à l’origine d’une crise inédite, semblent s’être reportés majoritairement sur le vote Rassemblement national parce que la gauche n’a pas compris ce qui se jouait symboliquement sur les ronds-points.
Le résultat intervient alors que je viens de lire le numéro 5 de la petite édition baptisée Tracts de Gallimard. Il est l’œuvre de Danièle Sallenave, sous le titre Jojo, le gilet jaune. Il doit être apprécié comme une contribution à la réflexion de la gauche sur son avenir et sur celle de notre pays.
L’académicienne n’a rien perdu de sa verve et n’a jamais renié ses origines ; elle est de cette gauche radicale qui ne supporte plus le mégalomaniaque Jean-Luc Mélenchon et qui ne se résigne pas à voir le Rassemblement national ou Emmanuel Macron parader en tête des élections.
En revanche, elle a éprouvé un élan de sympathie pour le mouvement des gilets jaunes pour ce qu’il portait en lui de symbolique : « Un profond sentiment de connivence et de participation, sociale, politique, qui, à travers le mouvement des gilets jaunes, s’adressait à ceux dont je viens, petit peuple de journaliers agricoles, vignerons, artisans, ouvrières d’imprimerie, qui ont voulu que leurs enfants soient de petits fonctionnaires, des cheminots, des instituteurs (mes parents) pour échapper à la précarité. »
Danièle Sallenave marque sa réprobation après les dérives de quelques groupes (slogans sexistes, homophobes, propos et attaques antisémites, scènes d’incendies et de destructions) qu’elle juge insupportable.
Mais son analyse va bien plus loin que cela. Pour elle, la rage sociale était prévisible à force de fins de mois difficiles, de rejet à la périphérie des villes et de fracture culturelle, d’absence dans les médias et dans les instances élues de décision…
La gauche (la vraie et pas celle qui se sent des affinités avec Macron) n’a pas suffisamment pris conscience de ce qui se jouait sur les ronds-points ; la rage du peuple d’en bas ne doit pas être circonscrite aux seuls gilets jaunes ; la crise est bien plus profonde, dans les banlieues, dans les usines (celles qui ferment et celles qui continuent en précarisant les ouvriers), dans les supermarchés, à la SNCF en voie de privatisation, à l’école, au collège, au lycée et à l’université, tous malmenés, dans les zones rurales abandonnées par les services publics, etc.
Le désespoir est grand. Les partis de gauche n’ont pas su (pour certains) ou pas voulu (pour d’autres, un moment invités à abandonner l’électorat qui souffre) voir la réalité. Son électorat s’abstient ou vote pour un mouvement fascisant.
Les gilets jaunes ont profité davantage à Marine Le Pen et, aujourd’hui, ils ont sans doute précipité un peu plus la gauche dans la crise.
Danièle Sallenave conservera toute sa sympathie pour le mouvement, mais elle interpelle sa famille politique en espérant son sursaut.