Blog de Michel Diard

La Chouette qui hioque

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Pourquoi sommes-nous ensemble ?

Qu’elle est belle et émouvante cette chanson de Claude Nougaro, qui dénonçait superbement le racisme dans ‘’Bidonville’’ et, dans un même souffle, affirmait sa solidarité avec les immigrés, cantonnés dans des ghettos baptisés bidonvilles :

« Donne-moi ta main, camarade / Toi qui viens d’un pays / Où les hommes sont beaux / Donne-moi ta main, camarade / J’ai cinq doigts, moi aussi / On peut se croire égaux. »

C’était en 1966, mais ses paroles résonnent encore aujourd’hui et peut-être même encore plus fort, quand le rejet de l’Autre est si honteusement présent dans de nombreux discours, y compris officiels.

Claude Nougaro chantait un monde meilleur et terminait ainsi son ode à la fraternité :

« Serre-moi la main, camarade / Je te dis « au revoir » / Je te dis « à bientôt » / Bientôt, bientôt / On pourra se parler, camarade / Bientôt, bientôt / On pourra s’embrasser, camarade / Bientôt, bientôt / Les oiseaux, les jardins, les cascades / Bientôt, bientôt / Le soleil dansera, camarade / Bientôt, bientôt / Je t’attends, je t’attends, camarade ! »

J’ai longuement réécouté Claude Nougaro et, par l’effet d’une association d’idées, j’ai ressorti de ma bibliothèque un superbe livre d’Alberto Manguel (un Argentino-canadien qui a vécu aussi en France), paru chez Actes Sud en 2009, La Cité des Mots.

Il s’agit d’un essai réunissant cinq conférences données au Canada, à Toronto, dans le cadre des Massey Lectures, où la parole est donnée librement à des penseurs contemporains. Manguel avait intitulé ce qu’il a appelé ses causeries ‘’Pourquoi sommes-nous ensemble ?’’

Son livre est lumineux et va puiser dans les littératures, les légendes et l’histoire des arguments pour dénoncer, lui aussi, le rejet de l’Autre.   

Il convoque les tablettes de l’admirable Epopée de Gilgamesh (écrite il y a plus de quatre mille ans et découverte au XIXe siècle) dans lesquelles Enkidu, créé à partir d’argile tendre par la déesse Aruru, ami et frère du roi sumérien Gilgamesh, taillé, lui, dans le granit, personnifie l’archétype du sauvage. Enkidu est « défini par l’exclusion, dépeint à la fois comme étranger et comme image-miroir, accusé à la fois de rester un homme sauvage et de n’avoir jamais réussi à s’assimiler aux membres reconnus de la cité. »

Enkidu, le sauvage, deviendra l’ami fidèle de Gilgamesh et entraînera le roi inconséquent dans une réflexion sur la condition humaine.

La légende sumérienne permet à Alberto Manguel de faire ensuite le procès du gouvernement de Tony Blair qui « décréta que les écoles devaient insister sur la notion de Britishness. C’est-à-dire qu’au lieu de permettre à une perspective islamique de faire partie de la multiplicité des perspectives déjà intrinsèques à ce que pourrait signifier Britishness (la saxonne, la normande, la française, l’écossaise, l’irlandaise, la galloise, la protestante, etc.), le gouvernement décidait de limiter ce concept à celui d’une couleur généralisée, du genre qu’exploite la propagande touristique. Au concept de multiculturalisme, le gouvernement de Blair opposait celui de culture unifiée, dans lequel toutes les cultures sont censées se mêler indistinctement mais où, en pratique, seule la culture dominante possède une voix publique. »

Puis, faisant le constat que le successeur de Blair, Georges Brown, et Nicolas Sarkozy avaient des politiques identiques, il s’émeut que « l’autre doit soit renoncer à son identité propre, soit nous rester à jamais étranger (…) Sarkozy et Brown ont adopté la morale de certaines légendes anciennes selon lesquelles la seule présence du double signifie une mort certaine. » 

Alberto Manguel, on l’a compris, fustige les « sentiments patriotiques vagues et échauffés » et affirme : « Nationalités, ethnies, filiations tribales et religieuses supposent des définitions géographiques et politiques d’une espèce ou d’une autre et pourtant, en partie à cause de notre nature nomade et en partie du fait des fluctuations de l’histoire, le paysage où se fonde notre géographie est moins matériel que fantomatique. ‘’Chez nous’’ est toujours un lieu imaginaire. »

Ces quelques lignes sont admirables d’intelligence et condamnent à jamais l’exclusion de l’Autre. Alberto Manguel feint de ne pas donner de réponse à sa question initiale, ‘’Pourquoi sommes-nous ensemble ?’’ Mais, en réalité, il prononce un vibrant plaidoyer pour le multiculturalisme contre le racisme de bas étage qui a perverti de trop nombreux cerveaux, y compris parmi les dirigeants de nos sociétés. C’est la grande victoire de la famille Le Pen, hélas.

Les mots de Claude Nougaro et ceux d’Alberto Manguel visent à éveiller les consciences et sont parallèles, malgré leurs différences d’expression artistique. Mais on retiendra qu’on peut vanter la grande famille humaine, vivant ensemble, sans exclusion, avec des chansons et des livres.

En définitive, on retrouve là, avec Nougaro et Manguel, ce qui fait culture, éveille l’homme et le rend tolérant.

Aujourd’hui, les temps sont durs pour l’Autre, en France quand on est Arabe ou noir de peau, et partout ailleurs (aux Etats-Unis quand on est noir ou latino, en Pologne et en Hongrie quand on n’est pas d’un blanc pur de peau, etc.). 

Claude Nougaro ouvre la porte en grand et annonce des jours meilleurs, des jours heureux pour tous : bientôt, bientôt, nous t’attendons, camarade !

Bientôt ? Tout dépend de nous.

Revue de presse (édifiante)

De ma revue de presse matutinale, des quotidiens ‘’bourgeois’’ à l’unique quotidien de gauche (L’Humanité), en passant par les fameuses ‘’newsletters’’ (pourquoi ne pas dire lettres d’actualité ?), j’ai donc retenu deux articles.

Ils sont extraits de L’Humanité. Le premier est son éditorial, titré Canard sans tête, et il est écrit par Sébastien Crépel :

« Du jamais-vu dans l’histoire parlementaire de notre pays. Une réforme des retraites présentée comme fondamentale est arrachée des mains des députés sans que la représentation nationale ait pu se prononcer sur celle-ci ni sur ses articles phares. Il n’y a aucun précédent connu. Même le coup de force bien rodé de l’article 49.3 de la Constitution apparaît, au regard de cette pantalonnade, comme moins anti­démocratique. Dans ce cas, à défaut de vote, le texte est « considéré comme adopté » lorsque la première ministre engage la responsabilité de son gouvernement devant les députés, qui peuvent encore, en renversant ce dernier, rejeter le texte. Rien de tel ici. Quant à la pantomime de la motion de censure du RN, elle visait l’Élysée à travers les ministres, non le projet de loi. L’Assemblée nationale n’a pas eu son mot à dire, mais la réforme poursuit quand même sa course folle comme un canard sans tête. Jamais, sans doute, les députés n’ont été pareillement bafoués. Et pourtant, ils en ont vu, en plus de soixante ans de présidentialisme écrasant. »

Le second est le billet quotidien de Maurice Ulrich, toujours aussi percutant ; il est titré Cash :

« On connaît l’histoire du boulanger qui vend à perte chaque petit pain mais se rattrape sur la quantité. Absurde, peut-être, mais avec Renault, désormais, c’est le contraire selon son propre PDG, Luca de Meo. « Nous gagnons plus d’argent avec deux millions de voitures aujourd’hui qu’avec trois millions et demi auparavant. » Et voilà la recette, donnée sans réticences dans un entretien publié vendredi dans la presse économique : « Depuis mon arrivée, les coûts fixes ont été réduits de plus de 30 %, la capacité de production de 1,2 million de voitures et nous avons augmenté nos prix de 25 % en deux ans et demi. » Belle performance, mais pour faire quoi ? « Renault est devenu une machine à faire du cash. On en a plus généré en deux ans que sur la dernière décennie. Et nous reprenons le versement du dividende après quatre ans d’arrêt. » Il fallait être bien naïf pour penser que l’ambition d’un groupe automobile était de fabriquer des voitures. Merci en tout cas à Luca de Meo. C’est cash, en effet. »

Ainsi va la France d’Emmanuel Macron. Méprisante pour les élus du peuple et bienveillant avec les riches et leurs dividendes.

Quand en sortirons-nous ?

Palmade, Darmanin et la cocaïne

Gérald Darmanin est un excellent ministre de l’intérieur pour gérer un capitalisme en crise.  Il est le digne successeur de Roger Frey, Christian Fouchet, Raymond Marcellin, Michel Poniatowski, Christian Bonnet, Charles Pasqua, Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, Claude Guéant, Manuel Valls, etc. Tous de droite et tous réactionnaires.

Les ministres de l’intérieur ont toujours été des hommes, à une exception près, celle de Michèle Alliot-Marie. A droite (mais aussi parmi les socialistes), on considère que seul un homme à poigne peut occuper ce poste régalien et stratégique !

Gérald Darmanin est donc de cette lignée des voyous de la République, ardents défenseurs de la répression à propos de tout et de n’importe quoi. Toujours prêts à utiliser un fait divers pour sortir un nouveau projet de loi liberticide.

La scabreuse (et scandaleuse) affaire Pierre Palmade (un prétendu humoriste qui ne fait plus rire) a déclenché un réflexe pavlovien chez le locataire de la place Beauvau ; il veut retirer leur permis à tous les conducteurs de véhicules contrôlés positifs à un stupéfiant. Sans s’attaquer au problème du marché souterrain de la drogue.

Gérald Darmanin profite de l’émotion suscitée par l’affaire ; peu importe si la mesure sera suivie d’effet (et même si son projet a une chance d’être adopté) ; il lui faut montrer ses petits biceps et s’affirmer comme le premier flic de France.

S’il est vraiment le premier flic de France, pourquoi ne s’attaque-t-il pas aux gros bonnets de la drogue et à leur trafic assassin, mais à la rentabilité assurée ? Qui a fourni de la cocaïne à Palmade depuis de (trop) longues années ? Qui approvisionne les chics ‘’soirées en ville’’ des ultra-riches (et moins riches) ? Qui transforme les banlieues en second marché de la défonce, gangrénant de plus en plus de jeunes abandonnés par la République ?

Si Gérald Darmanin n’a pas de réponse à toutes les questions, ses services de renseignement, eux, savent beaucoup de choses !

Arrêtons de réprimer à tour de bras et attaquons-nous enfin aux vrais problèmes et en visant les principaux antagonistes ! Et faisons l’économie d’une nouvelle loi. L’arsenal est déjà plein.

Sauver la culture

Emmanuel Macron s’attaque à tout, y compris à la culture. Sa ministre, Rimat Abdul-Malak, est insignifiante et se contente de discours dont le contenu, stéréotypé, est pitoyable. Elle n’a pas une seule phrase pour s’émouvoir de la multiplication des baisses de subventions entraînant la suppression de spectacles, voire la fermeture de salles de spectacles, notamment dans les régions gérées par les Républicains.

La droite la plus bête du monde relaie la politique présidentielle partout où c’est possible et justifie l’émergence d’une culture autour du patrimoine et de grands événements, qui se veulent ‘’fédérateurs, populaires et festifs’’ (sic).

Il est dramatiquement triste de voir l’Opéra se Paris s’acoquiner avec Airbnb pour organiser un concours dont le premier prix est ‘’une nuit dans la loge d’honneur du palais Garnier pour un couple’’ (re-sic) !

Les femmes et les hommes de culture posent clairement la question de la diversité culturelle et des choix idéologiques des dirigeants des régions et de l’Etat.

Un directeur de compagnie a pu s’alarmer en lâchant : « Laurent Wauquiez a décomplexé tout le monde. » Macron aussi ! La culture est en crise et en grand danger. La mise au pas idéologique se poursuit ; le libéralisme détruit tout ce qui peut émanciper l’homme. Nous sommes entrés dans un moment d’acquiescement.

Dans une lettre adressée à Hollande en mars 2014, Jack Ralite avait écrit :

« La culture n’est pas un luxe, dont en période de disette il faudrait se débarrasser, la culture c’est l’avenir, le redressement, l’instrument de l’émancipation. C’est aussi le meilleur antidote à tous les racismes, antisémitismes, communautarismes et autres pensées régressives sur l’homme. Mais la politique actuelle est marquée par l’idée de donner au capital humain un traitement économique. Il y a une exacerbation d’une allégeance dévorante à l’argent. Elle chiffre obsessionnellement, compte autoritairement, alors que les artistes et écrivains déchiffrent et content. Ne tolérons plus que l’esprit des affaires l’emporte sur les affaires de l’esprit. »

Il n’y a rien à ajouter.

Mais un combat à reprendre !

Le grand mensonge (suite)

En 2022, TotalEnergies a distribué 13,3 milliards d’euros de dividendes. Contre 7,1 milliards en 2021. Joli cadeau pour ceux qui ont les moyens de boursicoter.

Le salaire de son patron, Patrick Pouyanné, lui, a augmenté de 52 % en 2021, soit près de 6 millions par an, contre près de 4 millions en 2020.

Quand les critiques pleuvent, le PDG du pollueur réplique qu’il est « fatigué de cette accusation de m’être augmenté de 52% – voici la vraie évolution de ma rémunération depuis 2017 – elle est constante sauf 2020 car j’ai volontairement amputé mon salaire et ma part variable a normalement baissé avec les résultats de TotalEnergies. » L’argument ne convainc que ceux qui croient encore au Père Noël.

TotaEnergies est vilipendé par ceux qui n’ont rien, les retraités qui ont moins de 1000 euros par mois pour survivre et ne pas manger à leur faim chaque jour qui passe, ceux qui ne peuvent même pas survivre avec le RSA et les étudiants à qui les députés ont refusé un repas à 1 euro dans les ‘’restos U’’.

Les actionnaires et les administrateurs de la firme sont tellement gourmands qu’ils votent chaque année un programme de rachat d’actions, « compte tenu de la forte génération de cash-flow et du bilan solide de TotalEnergies », disent-ils. En 2022, le groupe de M. Pouyanné a dépensé 3 milliards dans ces opérations. Elle se traduisent par un plus petit nombre d’actions, donc d’une augmentation du montant du dividende. Et c’est légal.

Les rachats d’actions continuent en 2023 ; selon l’agence économique AGEFI, « Le producteur d’énergie TotalEnergies a annoncé mercredi une hausse de ses acomptes sur dividende au titre de l’exercice 2023 et son intention de racheter pour 2 milliards de dollars d’actions au premier trimestre, après avoir vu ses résultats profiter fin 2022 de prix des hydrocarbures toujours élevés, en dépit des dépréciations liées à ses intérêts en Russie. Le conseil d’administration a confirmé une politique de retour à l’actionnaire pour 2023 visant un ‘pay-out’ [taux de distribution, ndlr] entre 35% et 40%, qui combinera une augmentation des acomptes sur dividende de plus de 7% à 0,74 euro par action, et des rachats d’actions pour 2 milliards de dollars au premier trimestre », a indiqué le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, cité dans un communiqué. TotalEnergies a en outre annoncé la distribution d’un solde de dividende au titre de 2022 de 0,74 euro par action, portant le dividende ordinaire total à 2,81 euros par action, soit une hausse de 6,5% par rapport à celui versé au titre de 2021. Le groupe a par ailleurs confirmé le versement d’un dividende exceptionnel de 1 euro par action. »

Bref, tout va très bien (trop bien) chez TotalEnergies.

Les citoyens prennent de plus en plus conscience des inégalités et dénoncent les superprofits quand les prix à la pompe continuent de monter.

Alors, ce bon M. Pouyanné a décidé de faire un geste et envisage « « de nouvelles actions ciblées de rabais à la pompe ». Mais à la condition que le litre de gazole repasse au-dessus de 2 euros.

L’opération de marketing ne trompe personne, mais satisfait le gouvernement qui a déclaré l’accueillir favorablement. Cela lui évite d’avoir à affronter le débat sur l’imposition des superprofits et des grandes fortunes. Mais, surtout, cela satisfait Emmanuel Macron qui a promis à Bruxelles de faire 80 milliards d’économies sans toucher aux privilèges des riches et des entreprises, mais en rabotant à nouveau les droits sociaux et en repoussant l’âge de départ à la retraite.

Les nantis et leurs obligés à l’Elysée et au gouvernement espèrent ainsi détourner la colère des citoyens ; le grand mensonge ne trompe plus personne comme en témoignent les manifestations de plus en plus nombreuses pour le dénoncer.

Echec cinglant pour Macron

La bataille de l’énergie vient de connaître un épisode étonnant. L’Assemblée nationale a adopté un projet de loi déposé par le Parti socialiste et soutenu par toute la gauche s’opposant aux risques du démantèlement d’EDF préparé par le gouvernement.

La proposition de loi prévoyait également un bouclier tarifaire étendu aux artisans et aux PME (notamment aux boulangers).

Le projet a recueilli 205 voix (1 contre), le parti d’Emmanuel Macron, Renaissance, ayant quitté l’hémicycle en dénonçant, sans rire, une mascarade.

Il y avait là de quoi rendre fous de rage les députés de la majorité (relative) qui, par leur attitude, viennent de dévoiler leur propre projet de privatisation totale du secteur de l’énergie. Il n’est pas facile d’admettre que ses coups bas contre le service public sont mis au jour.

Mauvais perdants, les députés macroniens sont en effet favorables à une prétendue renationalisation, préparant la filialisation des diverses activités d’EDF pour les céder ensuite au privé après restructuration des filières nucléaires, hydroélectriques et énergies renouvelables.

La proposition de loi doit être désormais examinée par le Sénat et on se doute que le groupe de la droite la plus bête du monde, celui des Républicains, ne sera guère enclin à adopter un texte heurtant sa politique de privatisation de toute activité rentable.

Tout n’est pas encore gagné, mais, à la veille d’une journée de manifestation contre la réforme des retraites, le vote de l’Assemblée nationale doit donner de l’énergie aux opposants. La Macronie peut être mise en échec, y compris au Parlement.

Pauvres Ukrainiens

Le peuple ukrainien n’en peut plus de la sale guerre de Poutine ; il n’en peut plus (aussi) de son président, Volodymyr Zelensky, et de son gouvernement.

Le ministre de la défense, Oleksiy Reznikov, est empêtré dans une affaire de corruption de son administration. Des marchés d’approvisionnement en nourriture pour les militaires auraient été passés à des tarifs trois plus élevés que ceux du marché. Il est poussé à démissionner, mais pour se voir confier le portefeuille ultrasensible des industries stratégiques. Peut-on être corrompu et rester ministre ? Sans doute, disent l’Ukraine et Zelensky !

En janvier d’autres scandales de corruption avaient déjà éclaboussé le gouvernement, provoquant la démission d’une dizaine de membres du gouvernement (le ministre adjoint du développement des communautés et des territoires, par exemple) et de hauts fonctionnaires (le procureur général adjoint et cinq gouverneurs de régions).

Volodymyr Zelensky, lui aussi, qui s’était engagé à lutter contre la corruption et à poursuivre les corrompus n’est pas à l’abri de quelques démêlés avec la justice en raison de ses liens financiers avec l’oligarque israélo-chyprio-ukrainien Igor Kholomoïski, accusé, entre autres, de financer des bataillons ukrainiens et d’armer des groupes illégaux. Personnage sulfureux, Kholomoïski est également cité dans une affaire de détournement de fonds impliquant deux compagnies pétrolières dont il est actionnaire.

Zelensky, s’il s’est affranchi de l’oligarque, ne peut pas nier que sa campagne électorale a été en partie financée par des oligarques mafieux. En matière de démocratie, on peut rêver parrains plus fréquentables que ces oligarques, ministres et hauts fonctionnaires sans scrupules.

Le peuple ukrainien doit lutter à la fois contre Poutine les armes à la main et contre le régime corrompu de Zelensky les bulletins de vote dans l’autre.

Tâche immense et exténuante pour les pauvres Ukrainiens qui paient de leur vie une dérive mafieuse de leur patrie !

Le grand mensonge

Il est à croire que le capitalisme ne peut se sauver que par le mensonge. Un énorme mensonge permanent.

Le groupe Amazon, un monstre de multinationale, a réalisé un chiffre d’affaires de 514 milliards de dollars en 2022. Mais ses dirigeants on fait en sorte de dégager un déficit de 2,7 milliards. Le PDG, Andy Jassy, reste cependant confiant et justifie un certain nombre de mesures drastiques comme le licenciement récent de 18 000 salariés ou la fermeture de magasins physiques. Des mesures jugées indispensables pour des jours heureux, demain. Pour les actionnaires !

Les politiques, eux aussi, pratiquent l’art du mensonge.

Dans le dernier numéro de Charlie Hebdo, l’économiste Jacques Littauer, fustige la première ministre Elisabeth Borne, coupable d’avoir prononcé cinq mensonges en cinq minutes en direct sur France 2.

Jacques Littauer a donc relevé cinq mensonges pour, dit-il, « agiter des épouvantails et nourrir des peurs infondées » et, ainsi, justifier la réforme des retraites.

Elisabeth Borne a affirmé que le système de retraites est en déséquilibre ; une affirmation contredite par le président du Conseil d’orientation des retraites (COR)

Puis elle a mis en avant un problème démographique : « Demain on va avoir moins d’actifs pour payer les pensions des retraités ». Le journaliste prouve qu’il n’y a aucun effondrement démographique, contrairement à ce qu’Elisabeth veut nous faire croire.

Il a reçu le renfort argumentaire d’Hervé Le Bras, démographe, émérite à l’Institut national d’études démographiques (INED), et historien à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) qui, dans Le Monde, ajoute : « Dans sa récente intervention, [la première ministre] Elisabeth Borne a insisté à nouveau sur l’urgence de la réforme des retraites en raison d’une grave menace de déficit sur l’équilibre du système. Pour la justifier, le gouvernement s’appuie sur le rapport du COR, rapport administratif, et non pas scientifique. Ce document privilégie des scénarios irréalistes en matière de mortalité. Il reprend les dernières projections de baisse moyenne et forte calculées par l’Insee, sans rien dire de la projection de baisse faible. Or l’évolution récente plaide en faveur d’une faible augmentation de l’espérance de vie. »

Ensuite, elle a prétendu que l’opposition n’a pas de proposition, quand Jacques Littauer relève que « La majorité s’est justement caractérisée par sa fermeture et son refus de toute réelle concertation, jusqu’à s’aliéner la CFDT, ce qui est quand même très fort. »

Pour la première ministre, l’absence de réforme va « casser la dynamique des créations d’emplois dans le pays, donc c’est baisser le pouvoir d’achat et augmenter le chômage ». Jacques Littauer met Elisabeth Borne de créer les centaines de milliers d’emploi dans l’écologie, la santé et l’éducation, plutôt que d’attiser le sentiment anti-impôts.

Enfin, Mme Borne utilise honteusement la crise du Covid, la guerre en Ukraine et la crise climatique. « Autrement dit, le pays va très mal » en conclut Jacques Littauer et la première ministre tente malgré tout d’accréditer l’idée qu’elle mène une réforme inutile, laisse s’effondrer les services publics, tout en faisant s’envoler la dette publique par ses cadeaux aux riches et aux entreprises, pour le bonheur de tous demain.

L’art du grand mensonge n’est pas chose aisée ; Amazon ou Elisabeth Borne ne sont pas les stratèges capables de faire avaler d’aussi grosses couleuvres aux manants, aux gueux et aux analphabètes. Le système est à bout de souffle et les citoyens ne sont plus dupes, ils ont compris qu’ils sont honteusement manipulés comme en témoigne le nombre de manifestants battant le pavé contre la réforme des retraites.

Le grand mensonge, plus personne n’y croit.

Mort d’un voyou

Philippe Tesson, journaliste, patron de presse et passionné de théâtre et de littérature est mort. De lui, le quotidien vespéral retient qu’il était non conformiste, au parcours digne de héros balzacien, qu’il avait les yeux bleus et malicieux et, évidemment, avec ces qualités, il était séducteur et débordant d’énergie.

Alain Beuve-Méry ajoute que, pour lui, l’argent était avant tout un moyen, pas une fin. Sans préciser qu’il était devenu un patron de presse d’une droite de combat grâce à la fortune de son épouse.

Le Monde termine par une formule inquiétante : « Pour lui, le journalisme devait servir avant tout à poser des questions. Et la presse oser, cultiver l’impertinence et déranger. » La haine de celui qui n’est pas français n’est pas de l’impertinence, mais un délit.

Philippe Tesson avait vraiment livré le fonds de sa pensée en janvier 2015 sur Europe 1. Emporté, il avait déclaré : « D’où vient le problème de l’atteinte à la laïcité, sinon des musulmans ? On le dit, ça ? Ben moi je le dis (…) C’est pas les musulmans qui amènent la merde en France aujourd’hui ? Il faut le dire, quoi ! »

Cette infamie lui avait valu d’être invité dans de nombreuses émissions qui lui avaient tendu le micro avec gourmandise. Par exemple, sur France Inter, Léa Salamé s’était particulièrement distinguée en débutant son interview par « Qu’est-ce qui s’est passé ? Que vous est-il arrivé ? » Tesson n’en demandait pas tant : « Je crois que je n’ai pas complètement tort, tout le monde en convient, s’il y a un problème avec la laïcité, ce ne sont pas les chrétiens qui le posent pour l’instant […], ce sont les musulmans (…) Ce qui a créé le problème, ça n’est quand même pas… C’est pas les Français (…) D’où vient le problème ? D’où vient le problème de l’atteinte à la laïcité sinon des musulmans ? ».

Léa Salamé n’avait rien trouvé à redire à ces propos racistes.

Tesson s’est encore longuement exprimé le lendemain sur France 5 dans l’émission C à vous, animée alors par Anne-Sophie Lapix, même s’il y a été plus bousculé.

Quant au Monde, il titrait alors : « Philippe Tesson admet un « dérapage » sur les musulmans, mais se défend « sur le fond » ».

Les propos de Philippe Tesson sont scandaleux, mais la mansuétude des médias à son égard sont insupportables. Il n’est pas étonnant, aujourd’hui, que Le Monde passe sous silence les propos diffamants dans son article nécrologique.

La haine des musulmans était viscérale chez Tesson, un grand bourgeois à l’instinct de classe fortement ancré. Un voyou.

L’argent a une odeur

L’éditorial du quotidien suisse La Tribune de Genève de ce matin est surprenant, pour ne pas dire ahurissant. Le journaliste de service dénonce les emprunts de la ville des bords du Léman à la FIFA.

On lit et relit le court éditorial pour s’en assurer : il s’agit bien d’emprunts auprès de la Fédération internationale de football, dont le siège est à Zurich.

Au total, la ville a obtenu un crédit de 600 millions de francs suisses à court terme et sans intérêts entre 2018 et 2022, dont, dit le journal, « le dernier, de 150 millions (…) contracté six jours avant le lancement du très controversé Mondial au Qatar ».

Le journaliste dénonce la situation au Qatar : « Soupçons de corruption, destruction de l’environnement derrière un greenwashing éhonté, exploitation d’une main-d’œuvre étrangère et décès en grand nombre sur les chantiers… » Et les problèmes éthiques entourant les opérations : « Emprunter de l’argent à une banque est une chose. L’emprunter directement à un organisme sportif connu pour son agenda politique et ses pratiques peu recommandables en est une autre. »

L’éditorialiste s’étonne de la surprenante démarche de la municipalité genevoise, mais aussi et surtout du rôle de l’organisation mondiale du football : « La FIFA cherche-t-elle à soigner ses relations pour continuer à bénéficier, en Suisse, où elle a son siège, d’une si complaisante fiscalité ? »

Que faut-il rajouter à ces interrogations ? Assurément que l’argent prêté sans intérêts à Genève aurait été plus utile à ces millions de clubs et joueurs de football qui n’ont ni maillots, ni ballons pour s’adonner à leur sport.

La FIFA est secouée depuis quelques années par des scandales honteux, le dernier étant l’attribution du Mondial 2022 au Qatar, pays sans tradition de football, ni espoir de développement, aux pratiques sociales moyenâgeuses. La distribution de prêts à des collectivités en Suisse ou ailleurs est le rôle des banques ou des gouvernements, pas de la FIFA. Les dirigeants devront aussi s’expliquer sur ces honteuses pratiques financières.

Le président de la FIFA, Gianni Infantino, est un juriste, diplômé de l’université de Fribourg ; il sait que l’argent a une odeur. Alors ?

Le journalisme à Davos

Kyle Pope est un journaliste chevronné ; il a été rédacteur en chef du New York Observer et du Wall Street Journal. Aujourd’hui, il est rédacteur en chef de la revue de l’école de journalisme de l’université Columbia (Columbia Journalism Review, CJR).

Kyle Pope a publié dans la CJR un article sous le titre ‘’Le journalisme a un problème à Davos’’ après avoir lu avec gourmandise la newsletter d’un site américain indépendant, Semafor consacrée au Forum économique de Davos. ‘’Davos Daily’’ s’est intéressé à la manière dont les médias couvrent l’événement et, ajoute-t-il, les riches du monde.

Kyle Pope a relevé que, à Davos selon Semafor, « l’ambiance est austère » et les participants sont qualifiés de myopes, relevant « une courte liste des choses que la foule de Davos a manquées : le crash de 2008, le Brexit et l’élection de Donald Trump en 2016, le ralentissement de la croissance mondiale en 2018 et 2019, et la pandémie en 2020. »

Kyle Pope lui-même est particulièrement critique à l’égard de la presse économique : « C’est arrivé au point où rien de tout cela n’est plus drôle. Jamais dans ma carrière je n’ai vu une telle déconnexion entre l’état de l’économie mondiale et les histoires que la presse économique propose pour la couvrir. L’échelle colossale et historique de l’inégalité des revenus ; la dislocation économique mondiale provoquée par la crise climatique et la désindustrialisation ; les luttes silencieuses et douloureuses de familles incapables de faire face à la dette et à l’inflation. Ce sont aussi des temps sombres pour notre lieu de travail mondial, mais ils ne constituent pas la majeure partie de ce qui continue de passer pour de l’actualité économique. »

Le journaliste se demande s’il ne faut pas repenser la notion même de journalisme économique : « Pourquoi doit-il être isolé des rapports nationaux et politiques ? Pourquoi continue-t-il de tourner autour des PDG et de leurs presses, plutôt que des travailleurs et des clients qui devraient être au cœur de l’histoire ? Pourquoi le scepticisme que la presse applique aux politiciens ne semble-t-il pas toujours s’appliquer à l’élite mondiale au sens large ? »

La situation en France ? Pas plus reluisante.

Kyle Pope interpelle tous les journalistes, où qu’ils soient. Non sans humour. Et lucidité.

Un beau sujet de réflexion pour les syndicats de journalistes français !

Le mépris, toujours

Bernard Arnault est l’homme le plus riche du monde ; son patrimoine se porte particulièrement bien. Son quotidien économique, Les Echos, jubile et note que LVMH a bouclé une année record avec 79 milliards de ventes (+ 23%) en 2022. La radio britannique jubile, elle aussi, et constate que les résultats de LVMH sont exceptionnels pour la deuxième année consécutive.

Le groupe aux 70 marques de luxe a dégagé un bénéfice de 14 milliards. Pour la Bourse ce n’est pas encore assez, l’action a ‘’chuté’’ de 2 % au lendemain de la publication des résultats. Les actionnaires sont dérangés, paraît-il, par la morosité du marché chinois. Heureusement, celui-ci se réveille et les investisseurs salivent déjà en rêvant à de nouveaux bénéfices record en 2023.

Bernard Arnault, lui aussi, est dérangé, non pas par ses dividendes, mais par les critiques dont les ultra-riches sont assaillis en période de crise. Les pauvres ont du mal à boucler les fins de mois et à faire le plein d’essence du réservoir de la voiture, indispensable pour aller travailler. Bernard Arnault ne comprend pas pourquoi il est l’objet de vindicte parce qu’il se déplace en jet privé.

Alors, toujours aussi condescendant, il n’a eu que mépris pour ceux qui profèrent les critiques, « ces gens qui ne connaissent pas bien l’économie », a-t-il déclaré.

Evidemment, ceux qui ne connaissent pas bien l’économie sont comme les employées des abattoirs de Bretagne, des analphabètes.

La France qui trime ne mérite, selon Bernard Arnault et Emmanuel Macron, que les insultes ; elle ne sait même pas reconnaître leur incommensurable intelligence et leur sens de l’économie capitaliste. La caste des nantis se vautre dans le mépris absolu. 

Morale de l’histoire, empruntée à Albert Camus (L’Homme révolté) : « Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. »

A la Bastille !

La moitié des Français détient 92 % du patrimoine, selon l’INSEE. Dit comme ça, le rapport d’une enquête réalisée tous les trois ans est choquant ; mais les chiffres qu’il dévoile confirment encore davantage le scandale des inégalités dans la France de 2023.

Les plus riches (ils ne sont qu’1 %) ont un patrimoine supérieur à 2,24 millions d’euros quand les plus pauvres (ils sont 10 %) n’ont que 4 000 euros, soit 560 fois moins.

Les plus pauvres ont souvent recours à l’emprunt et les remboursements font tomber leur patrimoine à 3 000 euros.

L’INSEE ajoute que la répartition du patrimoine est stable par rapport à l’étude de 2018. Certes, mais elle n’évolue pas.

La France reste la championne des inégalités et les plus riches se frottent les mains en lisant la presse économique qui annonce des dividendes records versés en 2023. Les plus pauvres, eux, ne se chauffent plus, ne s’éclairent plus, économisent l’eau et ne mangent plus à leur faim tous les jours.

L’argent ne ruisselle pas. Les riches thésaurisent et placent leurs revenus dans les paradis fiscaux, quand les pauvres, eux, connaissent l’enfer des fins de mois.

Bref, l’ordre libéral est stable ; il semble immuable. 

En 1788 aussi, l’ordre semblait immuable. Marie-Antoinette invitait les gueux à manger de la brioche et celui qui prétend que les Français qui ne voulaient pas la mort du roi invite les chômeurs à traverser la rue pour trouver du travail.

On fait mieux comme concours d’éloquence et de savoir-vivre.

La Bastille est encore à prendre, 245 ans plus tard !

Connard !

Olivier Dussopt, le ministre du travail, est à l’honneur aujourd’hui ; il présente le projet de loi sur la réforme des retraites. Il se rengorge, il donne des coups de menton, il est rouge de plaisir. Bref, il est hors sol ; il est ébloui par toutes les lumières qui permettent aux caméras de le montrer au bon peuple dans tous les journaux télévisés.

Un bref rappel est nécessaire pour camper le personnage.

Le ministre du travail d’Emmanuel Macron est ce député qui, en septembre 2014, avait interpellé le ministre de l’économie auteur d’une petite phrase honteuse, traitant les ouvrières de l’abattoir Gad d’illettrées :

« Je me nomme Olivier Dussopt, je suis député de l’Ardèche. Ma mère est ouvrière, n’a pas de diplôme et a été licenciée à deux reprises. Vous l’avez insultée. »

Le député s’était ensuite emporté et avait reproché à Emmanuel Macron d’avoir eu un comportement de connard. Ambiance.

Le 21 novembre 2017, le même député, Olivier Dussopt, encore assis sur les bancs réservés au Parti socialiste, vote contre le premier projet de budget du nouveau président, Emmanuel Macron.  Le 24 novembre, il est nommé secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’action et des comptes publics et aussitôt dépêché au Sénat pour défendre le même projet de loi de finances. Il ne fait pas dans la nuance en déclarant : « Je sais, par l’expérience que j’ai eue à l’Assemblée nationale, que les compromis sont souvent possibles. J’espère que ma présence parmi vous aujourd’hui nous permettra aux uns et aux autres de nous retrouver sur les sujets essentiels. Je mettrai tout en œuvre pour être à la hauteur des responsabilités qui m’ont été confiées. »

Olivier Dussopt n’est pas à un retournement de veste près.

Son fait d’armes le plus retentissant date de 2010, quand il est particulièrement sévère avec François Fillon qui, déjà, veut repousser l’âge de la retraite. Dussopt dénonce alors un projet de loi injuste qui « écarte d’emblée la recherche d’autres recettes et la mise à contribution de l’ensemble des revenus, et en particulier ceux issus du capital. Entre les niches fiscales et le bouclier du même nom, beaucoup pourrait être fait pour que les efforts ne portent pas encore une fois sur les seuls salariés ». Il ajoute, à propos de la méthode employée par le premier ministre pour faire adopter sa loi : « La main sur le cœur, vous vous êtes engagé à ne pas passer en force et à rechercher une position de consensus. (…) Malheureusement, la vérité est ailleurs : vous avez déjà décidé les axes de votre réforme, et les discussions que vous menez ne sont que des alibis et des rideaux de fumée. La concertation que vous avez promise apparaît pour ce qu’elle est : un simulacre ».

En présentant le projet de loi, le ministre Dussopt a affirmé que le gouvernement ne reviendra pas sur le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, ajoutant que « revenir sur ce point serait renoncer au retour à l’équilibre du système ». Comme le prétendait Fillon et comme le contestait Dussopt en 2010. 

On ne sait pas ce qu’un jeune député, élu en juin 2022 avec l’étiquette du Parti socialiste et avec les voix de la gauche unie, peut avoir envie de dire en croisant le ministre du travail dans les couloirs du Palais-Bourbon ; mais on peut lui souffler le qualificatif insultant dont le député Olivier Dussopt usa en apostrophant Emmanuel Macron en 2014.

Il s’en fout !

Michel Ohayon ? Ce nom était inconnu du grand public jusqu’à la fermeture des enseignes Camaïeu, jetant les 2600 salariés des 650 magasins à la rue.

Camaïeu ? L’enseigne de vêtements est un peu l’un des enfants de la fameuse Association familiale Mulliez. Familiale, peut-être, mais méprisante envers les salariés.

Michel Ohayon ? Le passé (et le présent) de cet homme mérite qu’on s’y arrête. Présenté comme un homme d’affaires, il apparaît compulsif. Il passe de l’immobilier commercial, à l’hôtellerie de luxe (à Bordeaux, Versailles, à Roissy et même à Jérusalem), aux enseignes de jouets (La Grande Récré et Jouetland), au vignoble à Saint-Emilion, aux cafés Legal, aux magasins Galeries Lafayette en régions, etc. Un vrai capharnaüm ! On cherche en vain une stratégie de groupe. Mais l’essentiel n’est pas là ; la stratégie Ohayon est rentable.

L’une de ses dernières acquisitions sera la chaîne de magasins d’articles de sport, Go Sport, en décembre 2021. Un an plus tard, les commissaires aux comptes et les syndicats déclenchent un droit d’alerte ; la maison Go Sport brûle. Ohayon n’appelle pas les pompiers mais, on n’ose le croire, il réplique en demandant à l’enseigne de racheter la chaîne Gap France, autre filiale du groupe Ohayon en difficulté, rachetée en avril 2021. 

Les 2160 salariés de Go Sport vivent dans l’incertitude et leurs familles dans l’angoisse ; le tribunal de commerce de Grenoble a placé le groupe en redressement judiciaire pour six mois après avoir constaté l’état de cessation de paiement. Les syndicats s’alarment à juste titre : ils avaient dénoncé une remontée de 36 millions d’euros de trésorerie de leur groupe vers une holding filiale, Hermione, People & Brands (HPB), sans aucune explication. Sinon que le libéralisme s’affranchit aisément des règles comptables et de la morale.

Michel Ohayon ? Sa holding Financière immobilière bordelaise (FIB) possède des actifs estimés à plus de 2 milliards d’euros et sa fortune personnelle à 900 millions. Pour lui, tout va bien. Merci. En 2019, il avait confié au magazine américain Forbes (qui s’intéresse aux grandes fortunes) : « J’estime qu’il est important de comprendre les grands mouvements sociologiques, cette hyper digitalisation nourrit une forte envie de revenir aux magasins physiques de quartier. » 

M. Ohayon a tout compris à l’économie capitaliste. Quand une marque et un modèle ne fonctionnent plus, on passe à autre chose et on s’affranchit de payer les indemnités de licenciement ; elles seront prises en charge par l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), évidemment plafonnées.

Les salariés de Go Sport ? Il s’en fout !

Salauds de juges!

La France laborieuse a battu le pavé hier ; une belle et forte mobilisation contre la réforme des retraites a occulté des informations qui en disent long sur l’état d’esprit des milliardaires et de leurs valets.

Aux Etats-Unis, un juge a condamné Donald Trump et son avocate, Alina Habba, à une amende de 937 989,39 dollars pour une « utilisation abusive des tribunaux (…) afin de faire avancer de façon malhonnête un récit politique ».

Trump avait osé réclamer 70 millions de dollars à Hillary Clinton pour, prétendait-il, avoir tenté de persuader les électeurs que la campagne de son adversaire avait bénéficié du soutien de le Russie.

Le juge, John Middlebrooks, ne s’est pas laissé impressionner ; il a dénoncé une action qui « n’aurait jamais dû être intentée (…) Son insuffisance en tant que recours légal était évidente dès le départ. Aucun avocat raisonnable ne l’aurait déposée. Destinés à un but politique, les arguments de la plainte n’énoncent aucune demande légale recevable. » Puis il a présenté Trump comme un « plaideur prolifique et sophistiqué qui utilise de façon répétée les tribunaux pour se venger de ses adversaires politiquesIl est le maître d’œuvre d’un dévoiement stratégique du processus judiciaire, et il ne peut être considéré comme un plaideur qui suivrait aveuglément les conseils d’un avocat. Il connaissait parfaitement l’impact de ses actions. »

Pan sur le bec, comme écrirait le Canard enchaîné !

Le même jour, c’est en France que les milliardaires ont fait grise mine.

La cour d’appel de Versailles a débouté Patrick Drahi et Altice de toutes ses demandes à l’encontre du site d’information Reflets.info et infirmé la décision du tribunal de commerce de Nanterre lui interdisant de publier tout nouvel article sur les ‘’DrahiLeaks’’.

Les juges ont retenu « l’absence de violation du droit au secret des affaires par Reflets », puis que « l’incitation à violer le secret des affaires n’est pas davantage caractérisé ». Ils ont également rejeté les accusations de trouble et de danger imminent occasionnés par la publication d’informations touchant aux DrahiLeaks. 

Hier aussi, Me Olivier Baratelli, l’avocat de Vincent Bolloré, confirmait à l’AFP que « le groupe Bolloré a décidé de se désister en raison de la cession de ses activités de concession portuaires en Afrique » de son action visant les deux auteurs du livre ‘’Vincent Tout-puissant’’, Nicolas Vescovacci et Jean-Pierre Canet. Il leur était reproché d’avoir diffamé Canal+, Vivendi, Bolloré Africa Logistics dans une centaine de passage du livre.

La décision est à noter car c’est la première fois que Vincent Bolloré se désiste d’une ‘’procédure-bâillon’’ dont il est coutumier pour tenter de faire taire les journalistes. La multiplication de ses condamnations pour procédure abusive a sans doute freiné les ardeurs judiciaires de celui qui n’admet aucune mise en cause de ses pratiques autoritaires. La cession des concessions portuaires n’étant qu’un prétexte.

On ne peut s’empêcher de rapprocher les trois informations et de reprendre les termes du juge américain parlant d’utilisation abusive des tribunaux, afin de faire avancer de façon malhonnête un récit politique ou pour masquer des gestions douteuses.

La date du 19 janvier 2023 restera dans les mémoires pour ses manifestations en France, mais aussi pour la liberté d’information.

On saluera également les salauds de juges qui ont osé dénoncer les procédures de ceux qui ne supportent ni contradiction, ni contrôle démocratique de leurs affaires.

Vivent les riches Chinois !

L’information est restée discrète. La presse économique a refait le coup du « Cachez ce sein que l’on ne saurait voir ! », embouchant néanmoins les trompettes du chauvinisme le plus haïssable. Le site franceinfo et l’AFP se sont crus autorisés en effet à titrer une courte dépêche : « LVMH, première société européenne à dépasser 400 milliards d’euros de capitalisation boursière ». Cocorico !

Alors que se profile un puissant mouvement de grèves contre la réforme des retraites, on comprend le choix de journaux comme Les Echos, propriété (heureux hasard) de Bernard Arnault, de faire dans la discrétion.

On apprend quand même que l’action de LVMH a atteint un nouveau record à 795,70 euros (avant de revenir à 791,40 euros. Le chiffre ne dit rien en soi ; mais il est intéressant de noter que cette action LVMH a augmenté de plus de 16 % depuis le début de l’année. C’est-à-dire en 15 jours. Une progression inversement proportionnelle à celle des salaires des travailleurs.

L’AFP note que la valorisation boursière, la somme qu’il faudrait dépense pour acheter toutes les actions du groupe, a culminé à 400,4 milliards d’euros. Plus que Nestlé, par exemple. Re-Cocorico !

Les économistes attribuent la performance (digne des plus grands exploits sportifs) à la réouverture économique de la Chine. Les résultats euphoriques de LVMH tributaires de la levée du confinement derrière la Grande Muraille ? On n’ose y croire !

Le même jour, les partis de gauche étaient réunis en meeting et on a pu entendre une oratrice déclarer : « Ce gouvernement fait un choix politique : faire souffrir des millions de gens, en les faisant travailler deux ans plus longtemps, plutôt que de taxer 42 milliardaires du pays de seulement 2%. »

Bernard Arnault et son ami Emmanuel Macron n’ont pas cru utile de réagir à ce véritable appel à la révolte du peuple qui souffre. Chut ! Discrétion de rigueur.

Laissons les riches Chinois (mais pas qu’eux) continuer à enrichir les milliardaires, à commencer par Bernard Arnault. Le monde des affaires doit pouvoir continuer à faire le ‘’business’’. Quoi qu’il en coûte.

Dé-mo-cra-tia !

L’opposition au gouvernement d’extrême droite de Benyamin Nétanyahu redresse la tête et les mobilisations sont fortes. Samedi, ce sont environ 80 000 Israéliens qui ont envahi le centre de Tel-Aviv, contre 30 000 personnes une semaine plus tôt.

L’opposition se cristallise sur plusieurs questions, la réforme judiciaire et notamment de la Cour suprême, entraînant un affaiblissement du Parlement, l’instauration d’un régime théocratique, les droits fondamentaux et le droit de manifestation ou encore les droits des homosexuels.

La foule des opposants a scandé ‘’Dé-mo-cra-tia !’’

On s’en réjouira ; cependant, on s’étonnera de l’absence de slogan pour la question palestinienne. Un manifestant confiant au Monde : « Quand j’entends les grands discours sur la démocratie alors qu’on est dans un apartheid, c’est difficile pour moi de me mettre dans cette opposition. Aujourd’hui, ici, c’est un public juif, il n’y a pas de Palestiniens. Cette manifestation est complètement déconnectée de la réalité. »

Scander ‘’Dé-mo-cra-tia’’ et maintenir l’ambiguïté à propos des colonisations, des crimes de l’armée israélienne ou de la création d’un état palestinien est intolérable. Le peuple israélien ne doit plus soutenir un régime d’apartheid s’il veut pouvoir scander ‘’Dé-mo-cra-tia’’. Il ne pourra être crédible que s’il cesse de voter pour un premier ministre corrompu et pour son alliance avec les partis ouvertement fascistes.

Cultiver le sol

Eric Dupond-Moretti a été lauréat de la Conférence du stage, concours d’éloquence des avocats du barreau de Lille. Malgré cela, il n’a ni l’éloquence de Victor Hugo, ni son humanisme. La comparaison est même cruelle.

‘’Acquitator’’ se glorifie de finaliser l’engagement d’Emmanuel Macron de créer 15 000 places de prison supplémentaires ; l’immense poète et écrivain, l’auteur des Misérables, défend la création d’écoles, au point qu’on lui a longtemps prêté la célèbre phrase : « Celui qui ouvre une porte d’école, ferme une prison. »

Victor Hugo n’a pas prononcé cette phrase, mais il a déclaré à la Chambre des Pairs en 1847 : « Tout homme coupable est une éducation manquée qu’il faut refaire ». Puis, dans Écrit après la visite d’un bagne, en1853 : « Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne / Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne / Ne sont jamais allés à l’école une fois, / Et ne savent pas lire, et signent d’une croix ».

La plaidoirie de Victor Hugo en 1848, devant les députés, pour défendre le budget de la culture, est autrement plus éloquent que les discours du ministre Eric Dupond-Moretti. Victor Hugo était un parlementaire qui avait du panache :

« Il importe, messieurs, de remédier au mal ; il faut redresser pour ainsi dire l’esprit de l’homme ; il faut, et c’est la grande mission, la mission spéciale du ministère de l’instruction publique, il faut relever l’esprit de l’homme, le tourner vers la conscience, vers le beau, le juste et le vrai, le désintéressé et le grand. C’est là, et seulement là, que vous trouverez la paix de l’homme avec lui-même et par conséquent la paix de l’homme avec la société. Pour arriver à ce but, messieurs, que faudrait-il faire ? Il faudrait multiplier les écoles, les chaires, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les librairies. Il faudrait multiplier les maisons d’études où l’on médite, où l’on s’instruit, où l’on se recueille, où l’on apprend quelque chose, où l’on devient meilleur ; en un mot, il faudrait faire pénétrer de toutes parts la lumière dans l’esprit du peuple ; car c’est par les ténèbres qu’on le perd. Ce résultat, vous l’aurez quand vous voudrez. Quand vous le voudrez, vous aurez en France un magnifique mouvement intellectuel ; ce mouvement, vous l’avez déjà ; il ne s’agit pas de l’utiliser et de le diriger ; il ne s’agit que de bien cultiver le sol. »

On aimerait entendre résonner ces paroles dans la bouche du ministre de la justice et, aussi quand le pays s’enfonce dans les ténèbres, quand des députés racistes sont entrés au Palais Bourbon, quand les immigrés sont refoulés, quand la misère gagne du terrain et quand l’école publique souffre.

Eric Dupond-Moretti, issu d’un milieu modeste, a fait un autre choix, c’est son droit. Renier ses origines et sa liberté, préférer l’enfermement des petits délinquants à l’éducation du peuple par l’enseignement et la culture, c’est aussi un choix, celui de la répression plutôt que de l’éducation.

Madame Sans-Gêne (bis)

Que Mme Brigitte Macron ait un avis sur tout, quoi de plus normal dans un pays où les femmes secouent sérieusement le vieux monde patriarcal. Mais que l’épouse du président de la République se croit obligée de le faire savoir à tous les citoyens en raison de sa proximité avec lui est d’une incongruité rare.

Il semble que la citoyenne Brigitte Macron usurpe un rôle qui n’est pas le sien. Les électeurs ont élu son mari et rien dans la Constitution ne lui attribue ni pouvoir, ni fonction. Faudra-t-il lui rappeler que le temps où l’épouse de De Gaulle, surnommée Tante Yvonne, faisait interdire le film La religieuse, est lui aussi terminé !

On pourrait épiloguer longuement sur l’indécence de lui avoir attribué un bureau à l’Elysée et, plus encore, un cabinet !

Mme Macron s’est déclarée en faveur de la réforme des retraites et pour le port de l’uniforme à l’école en osant déclarer dans la feuille pour le bas peuple de son ami Bernard Arnault : « J’ai porté l’uniforme comme élève : quinze ans de jupette bleu marine, pull bleu marine. Et je l’ai bien vécu. Cela gomme les différences, on gagne du temps – c’est chronophage de choisir comment s’habiller le matin – et de l’argent – par rapport aux marques. »

La tenue de Brigitte Macron, jupette et pull bleu marine, était l’uniforme des écoles bien pensantes, genre catho intégriste ; a-t-elle oublié qu’à l’époque cette tenue ne gommait pas les différences qu’elle prétend. Au contraire, la tenue bleu marine était portée par les enfants de la bonne bourgeoisie pour les distinguer des élèves de la laïque, école du peuple et des citoyens, où on ne faisait pas sa prière avant chaque cours.

Brigitte Macron devrait également se rappeler qu’elle s’est affranchie de la bien-pensance en couchant avec son élève, déclenchant un scandale.

Bref, l’avis de Brigitte Macron, on s’en fout. L’article du Parisien, on s’en fout. Ses reprises par tous les autres médias, tout autant. Mais, au fond, pas tout à fait : quand les journalistes cesseront-ils de relayer les pensées de cette Madame Sans-Gêne d’aujourd’hui et de lui lécher les bottes ?

Un peu d’éthique professionnelle !

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