Les Cahiers du Cinéma ont participé à l’éveil de ma soif de connaissance et de culture ; ils ont accompagné mon adolescence et ma découverte du 7eart. Grâce à un formidable professeur de lettres, Michel Cégretin, éducateur et éveilleur de conscience et animateur du ciné-club du lycée Carnot de Dijon. Ce lycée était un véritable foyer de culture, où professeurs et élèves dépassaient programmes et horaires pour former des citoyens, des êtres pensants par eux-mêmes.

La bibliothèque du ciné-club possédait tous les numéros de la célèbre revue à la couverture jaune. Je crois les avoir tous empruntés et j’ai dévoré les articles de Bazin, Doniol-Valcroze, Truffaut, Godard, Rohmer, Chabrol ou Comolli.

J’ai appris à aimer le cinéma, à en décrypter une séquence, à apprécier le montage… Puis je m’en suis détourné, avant de revenir à mon élan de jeunesse dans les années 80 (et de ne plus l’abandonner). Même si je ne retrouvais pas l’ambition des fondateurs et premiers collaborateurs au gré des cessions à des éditeurs peu attachés à l’héritage.

Je la retrouve aujourd’hui, cette ambition de revue engagée, anticonformiste, attachée à une certaine tendance du cinéma, pour parodier François Truffaut, ancrée dans la réalité quotidienne.

Et, depuis quelque temps, les éditoriaux de Stéphane Delorme interpellent, critiquent (au sens qu’en donnait André Bazin), secouent le lecteur. Celui de ce mois de mai, celui du Festival de Cannes, ne peut laisser personne indifférent. Delorme se lâche et secoue le lecteur sous un titre un peu énigmatique : Paris brûle-t-il ?

Il accuse pouvoir et médias d’avoir agité ‘’la peur incrédule’’ devant l’incendie de Notre-Dame,  « rectifiant notre émotion, la redressant pour la rendre compatible avec leurs intérêts. »

Delorme n’oublie pas que nos sommes dans une revue de cinéma, alors il écrit : « Il faut faire des rapports, c’est ce que nous a appris le cinéma. Une image n’est pas un discours, mais une pelote de significations, c’est un brasier ardent, l’image est magie. Elle oblige au montage. »

Puis il fait le rapprochement avec la situation sociale : « Après avoir sécurisé l’espace, il faut maintenant sécuriser les images et empêcher les journalistes de filmer pour que la violence policière se déchaîne en vase clos. Jusqu’où va-t-on lâcher nos libertés ? »

Ensuite, il dénonce la politique de la ville Paris : « Voilà la nouvelle métropole, le nouveau monde. Paris ville musée, ville friquée, vidée de ses habitants, laissée aux cars de touristes. Les Champs-Elysées arrachés aux manifestants de province, et offerts à Apple et aux Galeries Lafayette. »

Les deux enseignes ont dépensé un pognon de dingue pour s’afficher sur les Champs-Elysées (un loyer annuel de 14 millions d’euros pour Apple et de 17 pour les Galeries Lafayette) !

Alors, il accuse : « La réalité est qu’on ne veut pas voir les pauvres. De même qu’on ne veut pas voir les réfugiés. Les misérables dégoûtent, on va finir par les parquer quelque part. Et on s’étonne que Notre-Dame brûle ? »

Delorme n’en a pas fini avec sa dénonciation en forme de coup de gueule ; son éditorial est salutaire. Parce que le cinéma est un art populaire, son éditorial a toute sa place dans les Cahiers du cinéma, qui, du coup, retrouvent la couleur (jaune) de leurs débuts.