Les réactions après l’enfoncement de la porte du secrétariat d’état auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement, se sont traduites par une surenchère verbale inouïe. L’intéressé, Benjamin Griveaux, qui a dû être exfiltré, a immédiatement parlé d’une « attaque inadmissible contre la République ». Diantre !

Laurent Nunez, autre secrétaire d’état, mais à l’intérieur, a évoqué des « débordements de factieux extrêmement violents », emporté qu’il était par l’ambiance de BFM TV ; il a été rejoint par l’inénarrable secrétaire général de la CFDT qui, lui aussi, a qualifié les auteurs de l’acte de factieux (on a les références qu’on mérite !). Emmanuel Macron, qui ne pouvait pas faire moins, a dénoncé une « extrême violence » venue « attaquer la République – ses gardiens, ses représentants, ses symboles ».

Tous nos gouvernants, à l’unisson, ont adopté le ton digne d’une guerre civile. Ils sont ébranlés, apeurés, mais ils multiplient en même temps les déclarations provocatrices, qui, loin d’apaiser la climat social, attiseront les amertumes.

La violence de ce pouvoir est incommensurable ; elle est insupportable pour le peuple d’en bas de la cordée qui se sent méprisé et oublié, et qui a décidé de refuser désormais les injustices criantes d’un système à bout de souffle.

Ce pouvoir en agissant ainsi tente de justifier sa radicalité, mais aussi la politique de répression, seule réponse aux revendications des salariés et des exclus du système.

De Macron à Griveaux, tous évoquent ‘’LA’’ République ; mais de quelle république parlent-ils ? De la république aristocratique incarnée par Jupiter ? De la république d’Athènes ? De la république de Napoléon III ? Ou de la république bananière que nous observons au quotidien, distribuant des cadeaux par milliards aux entreprises et aux nantis et réservant les sanctions aux privés d’emploi.

Jamais la république de Macron, par ailleurs notion floue, n’a été aussi éloignée de la recherche du bien commun. Est-ce respecter la république que de gouverner par ordonnances et de rejeter a priori tous les amendements de l’opposition pour casser le code du travail que les salariés ont mis des années à conquérir, pour casser la SNCF, privatiser les aéroports, démanteler les services publics de la santé, de l’éducation nationale, etc.

Est-ce respecter le peuple que de faire croire qu’on augmente le pouvoir d’achat en octroyant une prime éphémère, sans revaloriser le SMIC ?

Est-ce respecter le peuple que de fermer la porte des universités aux bacheliers des couches les plus modestes avec un système opaque appelé Parcoursup ?

Bruno Le Maire ne clôt-il pas le débat avant qu’il ne soit entamé quand il déclare : « Il ne s’agit pas que le grand débat national conduise à détricoter ce qui a été fait »,laissant ainsi entendre que le résultat ne changera rien ?

Est-ce respecter l’esprit de la république quand il n’y a plus de distinction entre domaine public et domaine privé ? Et quand l’intérêt général est bafoué par les privatisations des services publics ?

Gaël Brustier, un prétendu expert qui a navigué du RPR au Parti socialiste (avec aller et retour) et Jean-Philippe Huelin (qui a été exclu du Parti socialiste en 2012) ne sont pas des révolutionnaires. Néanmoins dans un ouvrage commun, « Recherche le peuple désespérément », ils ont des phrases prémonitoires : « Le lien entre [les] expériences de monde du travail de plus en plus traumatisantes et la situation économique mondiale marquée par la globalisation s’est fait autour des délocalisations et du dumping social exercé par les nouveaux pays industrialisés, réalité face à laquelle l’Etat se montre impuissant. Ce qui gagne la conscience des milieux populaires, c’est l’effet du descenceur social sur leur vie personnelle. Il s’agit en fait de l’inversion du sens de l’ascenseur social : il n’est pas en panne, il amène simplement ses passagers vers le bas ! Pour les milieux populaires, cette évolution équivaut à une trahison de la République. »

Emmanuel Macron n’a pas renversé la barre ; il continue de trahir honteusement la république et ses symboles. Alors lire, sous sa plume, que les gilets jaunes les ont attaqué, est tout simplement d’une outrance culottée. La république est foulée aux pieds, déchirée et en grand danger.

On pourrait rappeler les lignes qui suivent à Emmanuel Macron ; elles sont de Pierre Mendès France dans Sept mois et dix-sept jours « La République doit se construire sans cesse car nous la concevons éternellement révolutionnaire, à l’encontre de l’inégalité, de l’oppression, de la misère, de la routine, des préjugés, éternellement inachevée tant qu’il reste des progrès à accomplir. »

Des progrès, pas des reculs sociaux qui alimentent les inégalités et la pauvreté.