La lecture des quotidiens, l’écoute de la radio et le regard porté sur les journaux télévisés m’affligent chaque jour davantage. Et je me plais à relire les Actuelles d’Albert Camus et, particulièrement, ses éditoriaux de Combat au sortir de la guerre.

Le 8 septembre 1944, il écrivait très justement : « La conception que la presse française se fait de l’information pourrait être meilleure, nous l’avons déjà dit. On veut informer vite au lieu d’informer bien. La vérité n’y gagne pas. »

Quelques jours plus tôt, ses mots étaient durs pour condamner la presse d’avant guerre : « L’appétit de l’argent et l’indifférence aux choses de la grandeur avaient opéré en même temps pour donner à la France une presse qui, à de rares exceptions près, n’avait d’autre but que de grandir la puissance de quelques-uns et d’autre effet que d’avilir la moralité de tous. Il n’a donc pas été difficile à cette presse de devenir ce qu’elle a été de 1940 à 1944, c’est-à-dire la honte de ce pays. »

Que penserait Albert Camus de l’information délivrée par les médias ? Sans doute serait-il d’une infinie tristesse et rempli d’amertume en contemplant le désastre d’une presse muselée par les milliardaires qui, comme Bolloré ou Arnault, ont fait main basse sur l’information et d’un service public attendant d’être vendu au privé.

L’Assemblée nationale continue d’appliquer les dogmes néo-libéraux à l’économie et à détruire les acquis sociaux : les salariés sont priés de travailler plus pour améliorer leur pouvoir d’achat en vendant leurs RTT (un recul de plus de 20 ans) et en faisant plus d’heures supplémentaires (l’exonération fiscale va passer de 5000 à 7500 euros).

Les députés godillots d’Emmanuel Macron sont rejoints par les fascistes et la droite dure (Les Républicains) pour voter la réouverture de la centrale à charbon de Saint-Avold ou la timide et insuffisante révision de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), qui contraint EDF à vendre sa production à ses concurrents à un prix inférieur à son coût de production.

Que dit la presse française ? L’essentiel, c’est-à-dire qu’elle relate les faits, bruts, mais sans mise en perpsective. Albert Camus militait pour un journalisme critique et pour un « commentaire politique et moral de l’actualité », toutes choses qui ont disparu.

La dédiabolisation de la présidente du parti fasciste, aussi, pourrait faire l’objet de commentaires. Pourquoi ne pas rappeler que Steve Bannon, mis en cause dans les attaques du Capitole et reconnu coupable d’entrave au Congrès, conseillant à Donald Trump de concentrer sa stratégie de mise en cause de l’élection de Biden sur la journée du 6 janvier 2021 (et déclarant la veille : « Tout l’enfer va se déchaîner demain »), fut l’invité vedette du congrès du Front national à Lille en mars 2018, éructant, entre autres : « Laissez-vous appeler racistes, xénophobes, portez-le comme un badge d’honneur ». Pourquoi ne pas rappeler que la candidate à la présidence de la République a été reçue avec les honneurs habituellement réservés aux chefs d’Etat en octobre 2021 par Viktor Orban à Budapest (avec tapis rouge, escorte policière, déjeuner privé et conférence de presse commune). L’ultra-réactionnaire dirigeant hongrois décrétant que Marine Le Pen était « incontournable » avant de lui apporter tout son soutien. Pourquoi ne pas rappeler que la même Marine Le Pen a des liens très étroits avec Vladimir Poutine, avouant entre autres : « Je ne cache pas que, dans une certaine mesure, j’admire Vladimir Poutine ». Reçue à plusieurs reprises à la Douma puis au Kremlin, elle osait déclarer le 8 février dernier : « Je ne crois pas du tout que la Russie ait le souhait d’envahir l’Ukraine ».

On revient toujours à Albert Camus : que penserait-il de ses consoeurs et confrères journalistes qui ont la mémoire si courte qu’ils omettent de livrer un commentaire un peu percutant sur les liens passés et proches de la dirigeante d’un parti ami des hommes politiques les plus sanguinaires, ennemis farouches de la liberté. La seule chose qui importe c’est sa dédiabolisation et l’envoi de 89 députés à l’Assemblée !

Quand les journalistes se libéreront-ils de menottes de l’esprit que les milliardaires leur ont passé pour revenir aux fondamentaux de l’information due au public dans une démocratie digne de ce nom ?