Alain Badiou livre dans la collection Tracts de Gallimard un brillant essai sur la désorientation du monde, mis davantage en lumière avec la pandémie du Covid.

Pour le philosophe, le désordre du monde est général et préexiste à la pandémie ; il faut en rechercher les causes dans l’idéologie dominante, le capitalisme et son appellation actuelle, l’ultralibéralisme.

Il consacre un chapitre à « la différence radicale entre ‘’revendication’’, au niveau syndical, et ‘’action de classe’’, au niveau politique ». Il la formule ainsi :

« L’opposition fébrile à des mesures gouvernementales particulières n’est qu’une négation localisée, et finalement réformiste, de la politique dominante. On le voit clairement de ce que, dans ce genre de situation, réclamer satisfaction revient en fait à admettre, premièrement que le régime en place a le monopole des décisions politiques, deuxièmement qu’on le croit en vérité capable de concessions sur le point en jeu. »

Il ajoute en conclusion du chapitre :

« Tout cela indique que la désorientation contemporaine – notamment le caractère abstrait et inefficient des mouvements populaires ‘’coléreux’’, vu leur intériorité à l’ordre dominant et leur dépendance des décisions de l’Etat bourgeois, vu par conséquent la faiblesse de leur négation – loin d’être une conséquence de la pandémie, est une étape du capitalisme mondialisé pour fixer les nouvelles et juteuses lois du profit quand le processus de la politique communiste est provisoirement plongé dans une crise particulièrement sévère. »

Si je partage largement nombre de ses thèses, Alain Badiou me semble ici, et sur ce point précis, en décalage avec la réalité. Sa condamnation du syndicalisme réformiste ne peut pas être prononcée à l’encontre de toutes les organisations. La CGT affirme dans ses statuts lutter pour la transformation de la société et la libération de l’exploitation capitaliste ; il s’agit de formules qui revendiquent avec d’autres mots l’appropriation collective des grands moyens de production, d’échanges et du système financier.

La question est toujours d’actualité, sans attendre le grand soir. La CGT, dont on ne peut pas nier qu’elle pratique un syndicalisme de combat, contrairement aux syndicats réformistes, n’a jamais abandonné la transformation de l’Etat qui puisse permettre à tous les citoyens, qu’ils soient salariés ou élus du peuple, de décider et de contrôler les politiques industrielles, commerciales et financières. Il ne me semble pas que cette vision du syndicalisme soit à opposer à « un nouveau départ du communisme ».

Il y a en revanche une différence de responsabilité, les syndicats n’ayant pas de responsabilité politique depuis la Charte d’Amiens et n’étant pas adhérents à une quelconque organisation politique comme c’est le cas en Grande-Bretagne ou dans les pays nordiques.

Les syndicats combatifs contestent de plus en plus fermement le monopole de décisions politiques et n’hésitent pas à s’opposer au gouvernement et les mobilisations créent les conditions pour contraindre gouvernement et patronat à faire des concessions.

Néanmoins, il faut admettre que les syndicats combatifs sont en grande difficulté aujourd’hui en raison d’un contexte bouleversé et d’absence de perspective de changement politique crédible.

Il est vain de vouloir distinguer revendication et action de classe.

(Remarques sur la désorientation du monde, Alain Badiou, Collection Tracts, 52 pages, 3,90 €)