« Bouygues, RTL Group, TF1 et le groupe M6 mettent aujourd’hui un terme au projet de fusion des groupes TF1 et M6, annoncé le 17 mai 2021. »
Le communiqué commun des deux groupes pose plus de questions qu’il n’en résoud. Car, si le premier rapport de l’Autorité de la concurrence (ADLC) concluait à un refus de la nouvelle concentration dans le secteur audiovisuel, les patrons des deux groupes n’ont pas ménagé leur peine pour renverser la situation.
Ils ont multiplié les actions de lobbying auprès de Bruno Le Maire, puis ils ont fait jouer toutes leurs relations ; Le Monde rapporte que : « Hasard ou coïncidence, Martin Bouygues s’était également rapproché d’Emmanuel Macron, ces derniers mois. Le 16 mai, l’homme d’affaires et le président de la République, qui ne se connaissaient pas vraiment, ont dîné ensemble avec leurs épouses et en compagnie du couple Sarkozy. » Sarkozy, l’abonné aux tribunaux, est décidément omniprésent quand il s’agit d’affaires, de médias et de relations.
La concentration avait semblé acquise quand le mandat d’Isabelle de Silva à la présidence de l’ADL (hostile au projet) n’avait pas été renouvelé. Elle tendait à prouver qu’Emmanuel Macron était favorable à la fusion TF1-M6.
Les deux groupes sont fort marris et le disent dans leur communiqué : « Les parties déplorent que l’Autorité de la Concurrence n’ait pas pris en compte l’ampleur et la vitesse des mutations du secteur de l’audiovisuel français. Elles restent convaincues que la fusion des groupes TF1 et M6 aurait été une réponse appropriée aux défis découlant de la concurrence accélérée avec les plateformes internationales. »
De nombreuses questions restent en suspend. Pourquoi une telle concentration, logique en système capitaliste et ultralibéliste, a-t-elle échoué ? Quel rôle a joué le président de la République ? La décision s’inscrit-elle dans les luttes au sommet du pouvoir pour l’élection présidentielle de 2027 ? Emmanuel Macron va-t-il se servir de ce non-évènement pour achever la démolition d’un service public de l’audiovisuel quand la présidente de France Télévisions appelait de ses vœux une fusion lui permettant de réclamer davantage de publicité sur ses chaînes ?
Les réponses nous manquent.
Le projet TF1-M6 était ouvert également à Patrick Drahi qui avait déjà acté le rachat de TFX et 6ter ; comment va réagir le groupe Altice, dont les appétits en matière de chaînes de télévision est stoppé ?
Mais, surtout, qui va racheter les filiales d’un groupe allemand Bertelsmann (TF1 et RTL), pressé de céder ses médias en France ? Le calendrier est serré, car l’autorisation de diffusion des chaînes du groupe M6 doit être renouvelé au printemps ; les règles prévoient l’interdiction de vendre pendant les cinq ans suivant le renouvellement. Il serait étonnant que Bertelsmann attende encore cinq ans pour quitter le marché français.
La situation des chaînes privées est inquiétante et vient se rajouter aux débats sur l’avenir du service public après la suppression de la redevance.
La fin de l’année 2022 et l’année 2023 seront particulièrement agitées et, dans ces jeux à coup de milliards, les citoyens ne seront au mieux que des spectateurs. Car, une fois encore, « l’esprit des affaires l’a emporté sur les affaires de l’esprit » (Jack Ralite) ou encore « les affaires, la politique et les médias sont devenus désespérement entremêlés en France » (The Economist).