Saura-t-on jamais la vérité sur l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans les locaux de l’ambassade de son pays à Istanbul ?

Dans une tribune d’une très grande pudeur publiée par Le Mondedans son édition de fin de semaine, sous le titre « J’exige que ceux qui ont ordonné et commis l’assassinat de Jamal Khashoggi soient jugés », Hatice Cengiz, sa fiancée, apporte des informations pouvant éclairer les raisons du crime : « Avec lui nous avons perdu une voix de portée universelle. Il se battait pour la bonté et la décence. Il nous aidait à comprendre les relations complexes qui caractérisent le Proche-Orient, mais se préoccupait avant tout des vies et des droits de ses populations. »

Ces lignes sont en parfaite communion avec ce qu’écrivait Jamal Khashoggi dans sa dernière chronique dans le Washington Post le 2 octobre et publiée par le quotidien le 17 : « J’étais récemment en ligne pour consulter le rapport 2018 de «Liberté dans le monde» publié par Freedom House et j’en suis arrivé à une grave constatation. Un seul pays du monde arabe y est qualifié de «libre». Ce pays est la Tunisie. La Jordanie, le Maroc et le Koweït arrivent en deuxième position, avec le qualificatif de «partiellement libre». Les autres pays du monde arabe sont classés dans la catégorie «non libre » (…) Le monde arabe était porteur d’espoir au printemps 2011. Les journalistes, les universitaires et la population en général étaient pleins d’espoir d’une société arabe libre et brillante dans leurs pays respectifs. Ils s’attendaient à être émancipés de l’hégémonie de leurs gouvernements et des interventions cohérentes et de la censure de l’information. Ces attentes ont été rapidement brisées et ces sociétés sont retombées dans l’ancien statu quo ou ont fait face à des conditions encore plus rudes qu’auparavant (…) Les gouvernements arabes ont toute latitude pour continuer à réduire au silence les médias à un rythme croissant. »

Les prises de position de Jamal Khashoggi pouvaient être insupportables à l’héritier saoudien Mohamed Ben Salmane, un souverain présenté comme terrifiant et adversaire déclaré du journaliste (l’inverse aussi).

Jamal Khashoggi a eu un parcours surprenant. Issu d’une grande famille de Djeddah, proche de la famille royale, il avait rejoint la cause des Frères Musulmans, mais il avait été également un membre des services secrets saoudiens. Un exemple qui marque le degré de confiance que les services lui portaient : il avait été envoyé en mission auprès d’Oussama Ben Laden pour le convaincre de rentrer au pays et donc de quitter la clandestinité.

Son entrée en dissidence était récente ; en 2016, après avoir critiqué l’élection de Trump, il est interdit d’exercer le journalisme dans son pays. Il s’exile alors aux Etats-Unis et, en 2017, il condamne l’intervention de son pays au Yémen.

C’en était trop pour le féroce héritier saoudien !

Hatice Cengiz interpelle les gouvernements occidentaux en termes vifs et à la hauteur de la frilosité de leurs réactions pour condamner un assassinat odieux.

Avec beaucoup de hauteur de vues, la fiancée de Jamal, qui réside dans la plus grande prison du monde, la Turquie, touche juste quand elle écrit : « Maintenant qu’il est mort, les principes qu’il a défendus avec tant de passion sont placés sous les projecteurs. Démocratie, liberté, droits de l’homme. Et la conviction essentielle que chaque personne devrait pouvoir choisi ses dirigeants politiques au travers de son bulletin de vote. »

La personnalité de Jamal Khashoggi a été déroutante ; mais il avait fini par prendre le chemin des droits de l’homme, lui le nanti du régime saoudien. Sa lutte restera inachevée, mais son assassinat nous interpelle, comme le tribune de sa fiancée.