Olivier Rey est assurément un esprit brillant. Polytechnicien, philosophe, mathématicien, il se place dans un cercle restreint des élites.
Mais on peut être un esprit brillant et se tromper. Même lourdement.
Dans la formidable collection Tracts de Gallimard, Olivier Rey vient de publier L’idolâtrie de la vie, une texte d’une cinquantaine de pages qui m’a surpris par ses erreurs et, parfois, ses lacunes.
Pour cet auteur, la crise du coronavirus marque un basculement dans notre civilisation : la préservation de la vie a pris la place du sacré. Et, au terme de sa démonstration, il en arrive à une conclusion que ne réfuterait pas Emmanuel Macron (et d’autres avant lui) : l’Etat ne peut pas tout.
Olivier Rey est bien trop intelligent pour s’égarer comme il le fait. Oser prétendre que « les hommes qui voulaient et commencèrent la Révolution n’étaient pas mus par de grands principes, mais par des considérations très terre à terre. Tout simplement ils mouraient de faim et désiraient cesser de mourir. Il n’y a pas autre chose dans les Cahiers de 1789. »
Certes. Mais c’est oublier tout le reste puisé dans les Lumières, quelques auteurs anglais et allemands (quand même) et la part prise dans la bourgeoisie dans la Révolution pour combattre l’absolutisme. Le point de départ d’Olivier Rey est erroné, la suite de la démonstration en souffre.
Plus loin, il s’égare encore en écrivant que « notre époque, où les moyens n’ont jamais autant abondé, est un âge de pénurie généralisée. L’impression de misère s’amplifie, s’universalise. » Hélas, il ne s’agit pas d’une impression et on se demande dans quel monde vit Olivier Rey pour ignorer à ce point la réalité et la captation des richesses par une petite caste. La pénurie n’est pas généralisée ; elle est réservée à ceux qui n’ont rien. Il réfute par avance les ‘’plans Marshall pour tout’’ avec un mépris rare. Il s’en prend à Stéphane Hessel et prétend que « notre monde a besoin de tout, sauf d’un surcroît d’indignation ». Quel mépris de classe !
La vie est redescendue sur terre ; elle a chassé le sacré et c’est tant mieux. Sans, pour autant être idolâtrée. Le pouvoir politique pourrait tout s’il n’avait pas abdiqué devant la finance, celle des riches. C’est le pouvoir qui est asservi et les peuples qui veulent briser les chaînes.