Nicolas Beytout, le patron de L’Opinion, aime la discrétion. Les actionnaires de son journal (qui se veut d’opinion et ne s’en cache pas) ne sont pas connus avec exactitude, même si les noms de Bernard Arnault et de la famille Bettencourt ont été dévoilés par Médiapart.
Sa ligne éditoriale en revanche est clairement assumée ; elle figure sur son site : « libérale, pro-business, européenne ». Lui aussi parle franglais !
On ne sera donc pas étonné si, dans son éditorial du 6 novembre, il fustige en des termes inouïs l’affaire dite des « Paradise Papers, qui dénonce à l’échelle universelle l’optimisation fiscale pratiquée par des célébrités planétaires. Vu au prisme de cette nouvelle hiérarchie des normes, le vol de millions de documents grâce auquel cette affaire est renseignée n’est plus un acte contraire à la loi mais un service rendu à la morale. Et la mise en accusation mondialisée de tel ou telle n’est plus une négation du droit individuel à se défendre, mais un appel collectif à la moralisation. »
Pour Nicolas Beytout, « l’argent ne semble avoir été cette fois ni volé, ni détourné, ni contrefait, ni recyclé, ni blanchi. Non, rien ne paraît (pour l’instant) être illégal. Juste immoral aux yeux de ceux qui le dénoncent. »
Pour Beytout, détourner des milliards de l’impôt serait juste immoral ! Et le dévoilement de l’utilisation des paradis fiscaux pour s’enrichir toujours plus serait une atteinte au droit individuel à se défendre !
Les journalistes qui ont travaillé pendant plusieurs mois pour traquer les sales affaires « des célébrités planétaires »ne seraient donc que des voleurs. Beytout manie facilement l’insulte quand les turpitudes des célébrités (surtout celles du CAC 40) sont mises au jour. Mais la morgue du patron de L’Opinionn’apporte-t-elle pas la preuve, éclatante, que le très beau travail des journalistes a visé juste ?
Nicolas Beytout, l’ex-invité de la soirée du Fouquet’s, a une certaine conception du journalisme qui n’est pas nécessairement partagée, une certaine idée de la morale qui n’est pas partagée du tout et une certaine idée des affaires commerciales qui n’est pas partagée par les salariés.
Quand il ose écrire que « la vision d’uniformité fiscale parfaite est un leurre »,il se pose en défenseur d’un ordre capitaliste établi et intangible, où le pauvre doit admettre de ne jamais pouvoir partager les richesses qu’il crée avec celui qui l’exploite. On doit reconnaître aux nantis une belle continuité dans les croyances d’un ordre immuable, dans lequel il est naturel que les riches restent riches et les gens qui n’ont rien restent pauvres.
L’Opinionest donc un journal de classe (ce n’est pas un scoop), celle des Arnault et des Bettencourt ; et Nicolas Beytout est leur vaniteux valet. Qui, parmi ceux qui n’ont rien, peuvent l’envier ?
Un journaliste digne de ce nom préfère sincèrement être au service des intérêts des citoyens et du plus grand nombre et d’une information complète, vérifiée et mise en perspective.
Le journalisme pro-business d’un Beytout n’est pas du journalisme mais de la propagande. Le vrai journaliste, en revanche, partage l’intégrité et les principes professionnels d’un Jaurès ou d’un Camus, d’un Garcia Marquez ou d’un José Saramago. Autant de noms que nous ne lirons jamais dans le journal d’un Nicolas Beytout.
Il nous reste néanmoins une consolation, celle de ne jamais voir son nom cité au Panthéon des grands journalistes.