Tu aurais pu vivre encore un peu/Mon fidèle ami mon copain mon frère/Au lieu de partir tout seul en croisière/Et de nous laisser comme chiens galeux

(Jean Ferrat, 1991)

Quand une autre fidèle amie, Michelle, m’a appelé hier pour me dire : « Marcel est mort », je suis resté abasourdi, et tout de suite une tristesse infinie m’a envahi. Depuis je suis inconsolable…

J’ai croisé ton chemin en 1968 quand, écarté de l’ORTF, tu avais créé, toi le communiste avec Roger Louis, le socialiste, le Centre de recherches sur l’éducation permanente et l’action culturelle (CREPAC) et une coopérative de production audiovisuelle, Scop-Colors, qui réalisait un magazine mensuel, Certifié exact.

Je militais aussi, comme toi, et jeune journaliste, j’éprouvais le besoin d’informer autrement. Adhérent du Cercle laïque dijonnais, j’avais organisé des soirées avec ton magazine sur le modèle des ciné-clubs. Sans beaucoup de succès, je dois le reconnaître. Sans doute Roger Louis avait-il raison quand il déclarait : « Si l’O.R.T.F. redevenait libre, nous pourrions travailler pour lui. Lui fournir des reportages. Mais il est hors de question que les journalistes reprennent leurs postes. De toute façon, il est à peu près certain que le public ne voudrait pas d’une télévision libre. Il a trop l’habitude de ce qu’elle est actuellement. Il ne reconnaîtrait plus sa drogue favorite ».

L’expérience a, hélas, tourné court.

Mais quelque temps plus tard, en novembre 1971, nous nous sommes retrouvés à Dourdan où notre syndicat, le SNJ-CGT, tenait son congrès. J’étais fier de m’asseoir à tes côtés.

Tu avais défendu une motion importante, ‘’L’ORTF doit être au service de la nation’’. Je l’ai conservée précieusement (et je la consulte encore) tout au long de mes mandats syndicaux, m’y référant constamment. Ta vision du service public était claire et reste, hélas, d’actualité.

Tu avais été élu membre du comité national de notre syndicat en 1969 ; je l’ai été en 1971. Tu ne peux pas imaginer mon bonheur de pouvoir siéger auprès de camarades comme toi.

J’ai eu l’occasion de travailler pour le journal des cadres de la CGT, Options, en 1978 que tu dirigeais ; envoyé spécial en Argentine pour le Mondial de football, j’avais écrit quelques papiers sur la situation dramatique du pays hôte dirigé par une junte militaire féroce et sanguinaire.

Tu as connu l’interdit professionnel pendant 13 ans. Il a fallu attendre l’élection de François Mitterrand en 1981 pour que tu sois réintégré et te voir diriger le service Société d’Antenne 2. La droite, de retour au pouvoir en 1986, ne pouvait pas supporter un journaliste libre ; tu as été évincé une nouvelle fois et envoyé comme correspondant permanent à Rome. Les ‘’camarades’’ socialistes ne se sont pas mieux conduits que la droite. Tu as été nommé directeur adjoint de l’information de France 2 en 1989 et écarté en 1991 pour être envoyé comme correspondant permanent à Moscou.

Tu as payé très cher ta conception d’une information non confisquée par un parti mais au service des citoyens ; à gauche comme à droite, le service public qui informe, instruit et divertit ne reste qu’un slogan de meeting électoral.

C’est au nom du respect du public que tu avais refusé de faire un reportage sur la profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990 et dénoncé en direct la drôle de guerre du Golfe en 1991. Tu as payé cher ta probité et ta droiture, ta conception du journalisme. On reconnaissait ton professionnalisme, mais tes engagements étaient insupportables à une caste de politiciens habitués à être ‘‘servis’’ par des journalistes trop souvent aux ordres.

Tes qualités ont fini, cependant, par être reconnues quand, en 1996, tu as été élu président de la Société des journalistes de France 2, puis, en 2006, quand tu as siégé au conseil d’administration de France Télévisions, enfin, en 2007, quand la SCAM t’as décerné son Grand Prix pour l’ensemble de ton œuvre. Tu n’en tirais aucune vanité, mais j’étais heureux pour toi.

Je n’omettrai pas de rappeler que ton documentaire, Silence dans la vallée (sans doute le plus abouti de tous), a été unanimement apprécié, y compris au MEDEF. Sa présidente, Laurence Parisot, t’avait même invité à venir débattre avec les patrons sur les mutations du capitalisme et notamment du capitalisme familial.

Quels pieds de nez aux censeurs qui ont gâché ta vie, ton talent et craché sur tes idées.

Marcel, tu laisses une œuvre de très grande qualité. Tu es resté fidèle à des idées et c’est au nom de cette fidélité que tu avais pris des distances avec le Parti communiste, sans renier notre idéal commun.

Fidèle aussi à la CGT, malgré tes déboires avec la direction confédérale à propos de la liberté de ton que tu avais voulu donner à Radio Lorraine Cœur d’acier. Tu n’as jamais refusé les sollicitations du syndicat pour être tête de liste aux élections à la commission de la carte d’identité des journalistes.

Et, aujourd’hui, j’ai un peu honte quand je lis les articles sur ta disparition ; tous saluent ta mémoire, tout en te qualifiant de journaliste militant. Comme s’il s’agissait d’un défaut irrémédiable. Ceux qui se couchent devant Macron, après s’être couché devant Sarkozy ou Hollande, ne changeront donc jamais ?

Aujourd’hui, je te pleure, Marcel.

Tu aurais pu vivre encore un peu/ Mon fidèle ami mon copain mon frère ; ta voix va nous manquer pour se battre encore et toujours pour les jours heureux.