Le documentaire ‘’Big Pharma, labos tout-puissants’’ diffusé par Arte le jour où Jean-Pierre Pernaut annonce son départ du journal de 13H de TF1 est un joli pied de nez, même s’il fut involontaire, à la télévision qui tente d’aseptiser les esprits.

Luc Hermann, son réalisateur, a enquêté pendant un an, sur un temps suffisamment long pour mettre au jour la recherche du profit par les plus grands laboratoires pharmaceutiques. Documentaire salutaire donc, comme devraient l’être tous les documentaires ; œuvre solide et intelligente à laquelle je reprocherai néanmoins quelques manques : le montant des profits de ces grands laboratoires (Pfizer, Novartis, Roche, Sanofi, Johnson & Johnson), les dividendes énormes distribués chaque année aux actionnaires, les délocalisations de la production des molécules en Asie et les pénuries de médicaments.

Le documentaire de Luc Hermann était d’une durée qui l’autorisait à évoquer aussi ces questions importantes.

Le réalisateur est à la tête d’une société de production, Premières lignes, qui fournit beaucoup de contenus au service public et il a confié à Télérama :

« Enquêter sur l’industrie pharmaceutique nécessite du temps – notre investigation s’est étalée sur une année, c’est l’avantage de travailler pour le service public ! »

Bel hommage au service public par le dirigeant d’uns société privée.

Les décrets de 1990, dits décrets Tasca (Catherine Tasca, socialiste, était alors ministre de la culture dans le gouvernement de Michel Rocard), ont fait obligation aux chaînes de service public de diffuser des œuvres produites par des sociétés de production indépendantes. Le nombre de sociétés a explosé et avec elles la précarité de l’emploi : elles emploient dix fois plus d’intermittents que de permanents ! Ces sociétés ont aussi et très souvent des obligations d’audience, avec les effets pervers qu’on connaît, et surtout des pressions pour diminuer les prix d’achat, sacrifiant ainsi à la durée des enquêtes, aux jours de tournage et de montage. Bref en sacrifiant la qualité.

L’hommage par Luc Hermann, représentant des indépendants, fait une étonnante démonstration de la supériorité du service public sur les prétendus indépendants. 

Seul le service public devrait être le garant d’émissions de qualité en permettant les enquêtes au long cours, le traitement de faits de société mettant en cause le système, bref d’une télévision qui informe, éduque et distrait. Vraiment et totalement.

Le service public de l’audiovisuel est malmené et s’aligne sur les chaînes privées et les sociétés de production indépendantes sont en voie de concentration, dominées par quelques grands groupes comme Mediawan (qui a absorbé la vingtaine de sociétés de production de Lagardère) ou Banijay (qui a racheté Endemol), etc.

Le documentaire de Luc Hermann n’est pas passé inaperçu quand les programmations se vautrent dans le superficiel, les séries américaines, les bêtisiers, les ‘’talks-shows’’ insipides dans lesquels les Hanouna, Praud ou Ruquier font étalage de toute la ‘’beaufitude’’ du monde.

Big Pharma a été un instant à part, sur une chaîne somme toute confidentielle, Arte. Hélas. Il reste un long chemin chemin à parcourir pour retrouver une télévision respectueuse des citoyens. Pour un ‘’big service public’’.