Quand trois milliardaires américains se livrent à une lutte bête et injurieuse dans un contexte de pauvreté galopante, à plusieurs milliards de dollars, pour savoir qui sera le premier à s’envoyer de l’espace, les journalistes tombent en extase et en perdent leurs repères éthiques.

Mardi, après Richard Branson, c’était au tour de Jeff Bezos de s’offrir un court saut de puce dans sa capsule, en compagnie d’une octogénaire et d’un jeune de 18 ans pour le casting et pour les retombées médiatiques. Loïc de la Mornais, envoyé spécial permanent de France Télévisions aux Etats-Unis, s’est extasié en déclarant : « A terme, Jeff Bezos veut externaliser les industries polluantes dans l’espace ». Sans autre commentaire et sans s’interroger sur la perspective de la pollution de l’espace.

Dans l’audiovisuel, on est obnubilé par ce que les journalistes appellent les ‘tunnels’’ ; on veut absolument ‘’faire court’’, toujours plus court. Au risque de phrases vides de sens, mais qui se veulent définitives.

Le journal de 20h a enchaîné en posant très judicieusement la question de l’utilité de cette course au tourisme spatial. Le journaliste de service a alors lâché après avoir fait remarquer qu’Elon Musk (patron de Tesla) avait fourni la fusée ayant permis le voyage de Thomas Pesquet vers la station orbitale : « Preuve que les entreprises privées sont les soutiens indispensables aux programmes spatiaux des Etats. », avant de donner la parole à Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, délivrant le même discours.

Cher confrère, l’argument est un peu court, car si les entreprises privées sont aussi indispensables que vous osez l’affirmer sur une chaîne publique, c’est en raison des réductions de crédits nécessaires à la recherche publique. Et ces abandons des Etats ont un nom : libéralisme, ou ultralibéralisme.

La propagande libérale va ainsi se nicher au détour d’une petite phrase, subrepticement, l’air de rien.

Sur France 2, elle est de trop si elle ne s’accompagne pas d’une condamnation de l’abandon des services publics et de la recherche. Et de la condamnation de l’accumulation de fortunes par des milliardaires qui foulent au pied les droits sociaux les plus élémentaires, comme chez Amazon. Les esclaves des entrepôts de Jeff Bezos n’iront jamais dans l’espace.