La pratique du journalisme de révérence est particulièrement dangereuse en cette période troublée. Le Journal du dimanche (le JDD pour les initiés) en a fait la cruelle expérience : son admiration sans borne pour Emmanuel Macron se heurte à la réalité.
Le 13 juin, David Revault d’Allonnes, rédacteur en chef du service politique, offrait aux lecteurs un modèle d’article hagiographique. Le titre ne laissait déjà aucun doute sur les visées de l’auteur : « Reconfinement allégé et vaccination : comment Emmanuel Macron a gagné son pari ».
L’auteur fait sans détour le procès de ceux qui se complaisaient dans le « scepticisme scientifique et critiques politiques ». Le premier paragraphe de l’article est péremptoire : «Il ne s’agit en rien d’un « pari », juraient alors en chœur les proches d’Emmanuel Macron,soucieux de démentir l’idée selon laquelle le chef de l’État se permettrait de jouer avec la santé du pays. Eux préféraient évoquer un « défi ». Aujourd’hui, les mêmes n’en sont tout de même pas à dire que ce « pari » qui n’existait pas est gagné. Mais pas loin. « C’est à la fin du bal que l’on paie l’orchestre, jubile un conseiller du Président. Ceux qui nous prédisaient 10.000 lits occupés en réanimation fin mars sont muets, et ceux qui enviaient les terrasses des pubs ouvertes à Londres ne disent plus rien… »
Revault d’Allonnes se permet une pointe d’ironie en citant ceux qu’il appelle les flagorneurs qui voyaient en Macron le « meilleur épidémiologiste de France », avant d’ajouter : « De même Macron anime-t-il, rênes courtes, les conseils de défense sanitaire, qui en sont venus à supplanter le Conseil des ministres au cœur du processus de décision de l’exécutif – certains ont duré jusqu’à quatre heures. Chaque veille de conseil, un dossier de plusieurs centaines de pages est adressé aux participants. Et quand Macron arrive, « il a tout lu, tout compris et il pose les questions qui font mal », témoigne un habitué, qui poursuit : « Je l’ai vu passer des heures à challenger les scientifiques, les collaborateurs et les administrations sur les hypothèses, sur les conséquences des variants, sur la façon de vacciner les gens, les tests antigéniques… »
Imagine-t-on la chance de la France d’avoir un tel président qui comprend tout !
Alors l’hagiographe de service peut se permettre d’affirmer : « Alors, pari remporté? « Ce n’était pas un pari, mais Emmanuel Macron a pris son risque de manière réfléchie, résume le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Un risque parfaitement mesuré et pesé, malgré les critiques. Et il s’est révélé gagnant pour tout le monde, y compris pour l’économie française, qui enregistre 5% de croissance. Si on compare notre gestion de la crise avec celle des grands pays occidentaux, la France n’a pas à rougir, au contraire. » Certes, personne, notamment parmi les oppositions politiques, ne reconnaît que ça fonctionne. « Mais personne ne dit plus que ça ne fonctionne pas », remarque Véran. »
Emmanuel Macron aurait donc fait taire toutes les oppositions et gagné son pari. Revault d’Allonnes a eu, sans doute, un éclair de lucidité ; la chute de son article laisse planer quand même un léger doute. Mais les Français devaient être rassurés, leur président tenait solidement les rènes : « Et aujourd’hui, l’épée de Damoclès du variant Delta plane encore. « Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il faudra être très attentif. Je resterai en permanence en métropole, avec mes équipes mobilisées pour continuer à décortiquer les cartes tous les soirs et pour voir si ça frémit. » Pas encore gagné, donc. »
Un peu plus d’un mois plus tard, avec la quatrième vague, le pari est perdu : les statistiques sont toutes dans le rouge. Les appels des scientifiques et des soignants n’ont pas été entendus. Et le président est à Tokyo pour la cérémonie d’ouverture de Jeux olympiques, loin de la métropole, mais dans un pays où la pandémie fait des ravages.
Le JDD s’est corrompu une fois encore et n’aura jamais un mot d’excuse en direction de ses lecteurs. Le journalisme de révérence a encore de beaux jours devant lui. Mon essai, ‘’Journalistes, brisez vos menottes de l’esprit’’, n’a sans doute jamais été autant d’actualité pour se départir de pratiques indignes du respect dû aux lecteurs, auditeurs et téléspectateurs !