France Inter, France 2 et France 3 viennent de nous administrer une parfaite leçon de journalisme de connivence.

Le cours a commencé par Léa Salamé qui recevait Olivier Bogillot, le Pdg de Sanofi hier matin dans le 7/9.

Le patron du groupe pharmaceutique était parfait dans son rôle ; il a parlé des besoins de capacité d’innovation et de capacités de production en France, mais en ajoutant aussitôt que l’innovation est principalement en dehors des laboratoires pharmaceutiques. Une façon de justifier les licenciements dans son entreprise qui aurait mérité d’être notée par Léa Salamé.

La journaliste était si béate d’admiration quant le patron a dévoilé que Sanofi allait produire 2 milliards de vaccins à ARN messager à partir de la fin de l’année qu’elle a oublié l’essentiel. Pour elle, cette prétendue relocalisation était suffisante pour ne pas s’attarder sur la question sans doute accessoire des licenciements par vagues entières dans les services de recherche et développement.

Fermez le ban ; on n’en saura pas plus.

Le cours suivant, il fallait se connecter au journal de la mi-journée de France 3 pour le suivre. Un reportage s’est extasié de la réouverture d’une ancienne usine de production de Paracétamol à Roussillon en Isère. On saura quand même que l’usine avait fermé en 2008 et la production délocalisée en Chine. Elle était la dernière unité de production du célèbre médicament en Europe et les salariés n’étaient plus que 43, mais un an plus tôt ils étaient encore 285 ; la perspective de réouverture de l’usine à l’horizon 2023 a fait l’impasse sur le sort des pauvres salariés. Fallait-il privilégier l’information positive ?

L’usine appartenait au groupe Rhodia (issu de la séparation des activités chimie et pharmacie de Rhône-Poulenc lors de la fusion avec le groupe allemand Hoechst), numéro deux mondial pour la fabrication du Paracétamol dans le monde ; elle avait connu de multiples actionnaires, comme le groupe Solvay et, récemment, le fonds d’investissement Eurazeo. Le groupe Rhodia rebaptisé Seqens produira donc 10 000 tonnes de Paracétamol, commercialisé par Sanofi sous la marque Doliprane et par UPSA sous la marque Efferalgan, alors que les deux laboratoires se contentaient de conditionner le principe actif produit en Asie.

France 3 n’a pas cru utile de rappeler ces ‘’détails’’ !

La relocalisation a ses limites, mais aussi un coût. Seqens a chiffré la réouverture de son usine de Roussillon à environ 100 millions d’euros, dont une partie, non précisée, sera supportée par l’Etat dans le cadre de France Relance. Cela fait cher de l’emploi créé (ils ne seront qu’une trentaine) et tout bénéfice pour les actionnaires d’un groupe qui a dégagé de gros profits en 2020. Dans ce contexte, l’action Seqens flambe (l’entreprise est valorisée plus de 2 milliards d’euros, soit près de 15 fois les bénéfices attendus de 150 millions) et Eurazeo a flairé le bon coup financier ; il a donc mis le sous-traitant pharmaceutique sur le marché. France 3 a oublié de le préciser.

La relocalisation d’Emmanuel Macron a ses limites ! La liberté d’expression dans le service public de l’audiovisuel aussi.

Il serait temps que les journalistes ne se contentent plus des communiqués des entreprises et fassent des enquêtes (mais l’investigation comme on dit aujourd’hui est réservée à d’autres sujets). Mes anciens collègues pourraient aussi se reporter à mon dernier livre, ‘’Journalistes, brisez vos menottes de l’esprit’’.