Qu’est-il arrivé à Ariane Chemin, grand reporter au Monde ? Elle signe un article sous le titre ‘’Grâce à Michel Houellebecq, l’autre rentrée de Bruno Le Maire’’, dont on ne sait pas si on doit le lire au premier ou au second degré (voire au troisième ou quatrième).

Pour ma part, je me demande qui a bien pu laisser publier cet article. On peut y lire, par exemple :

« Le ministre de l’économie, piqué de littérature, ne cache pas sa fierté d’avoir inspiré cet écrivain qui le campe en présidentiable sincère et surdoué dans son dernier roman, ‘’Anéantir’’. »

Comme il ne s’agit pas pour la journaliste (chevronnée) de faire la promotion du livre de Michel Houellebecq avec lequel elle a eu quelques démêlés judiciaires après la publication d’une enquête en six volets en 2015, s’agit-il alors de se payer la tête du ministre de l’économie et des finances ?

On peut le supposer en lisant encore ceci : 

« On pourrait presque parler d’un hold-up. En pleine campagne présidentielle, Bruno Le Maire fait sa rentrée de janvier de manière très… décalée. Une rentrée littéraire, mais pas comme auteur attendu (…) C’est en héros romanesque que le patron de Bercy effectue ce retour de vacances triomphant. Dans la petite comédie humaine de Michel Houellebecq (qui place Balzac au-dessus de tous) manquait la figure d’un ministre. C’est chose faite avec son dernier roman, livre puissant et triste qui paraîtra le 7 janvier chez Flammarion. Bruno Le Maire sert de modèle à l’un des principaux protagonistes d’Anéantir, Bruno Juge (presque un nom balzacien). Quel beau cadeau de Noël pour un ministre qui se pique de littérature (« Richelieu écrivait en agissant »), et aime tant fréquenter les écrivains (« Jean-Christophe Rufin, Sylvain Tesson, Philip Roth quand il était vivant, Marie Darrieussecq… ») ! Le 22 décembre, dans son bureau de Bercy, ses joues semblent encore plus roses qu’à l’ordinaire. « Se retrouver ainsi dans ce qui est peut-être le plus grand roman de Michel… » 

La chute de l’article est dans le même ton et on atteint au sommet de la flagornerie :

« Vertigineuse mise en abyme dont Bruno Le Maire s’étourdit presque, tant il est convaincu que le Prix Goncourt n’a pas bâti ce « jeu de miroirs » par hasard. « Vraiment, c’est quelque chose de très troublant de devenir le personnage d’un auteur qui marquera le XXIe siècle littéraire comme Proust et Céline en leur temps, confie-t-il. Michel d’ailleurs mérite le Nobel… » 

Toujours selon Ariane Chemin, les deux hommes, l’écrivain et son modèle, sont de vieux copains et les renvois d’ascenseurs seraient donc dans la nature des choses. Houellebecq dépeint son ministre de modèle comme « un type bien », austère, bosseur, « surdoué », pédagogue, jamais « cynique » (contrairement au Président), capable de réciter des vers de Musset dans le texte et en pleine nuit. Et présidentiable. »

L’écrivain et son modèle se fréquentent et fréquentent les mêmes milieux réactionnaires ; Ariane Chemin ne passe pas sous silence qu’ils ont animé « lors d’une soirée épique sur la piste du Cirque d’hiver, au printemps 2019, un show sur l’Europe organisé par les jeunes catholiques traditionalistes des Eveilleurs d’espérance et l’hebdomadaire Valeurs actuelles. »

Détail qui suffit à lui-même pour se détourner des deux compères et combattre leurs idées rances et nauséabondes.

Article étonnant et déplacé dans un journal comme Le Monde quand de multiples faits, tus aujourd’hui, auraient mérité d’être traités.

Ainsi va Le Monde ; ainsi hiérarchise-t-il l’information ! Car l’histoire des deux copains, Michel et Bruno, on s’en fout !