Dominique Eddé est une romancière et essayiste libanaise ; elle a été également enseignante, critique littéraire, traductrice et éditrice.
Du Liban et dans le grand quotidien L’Orient Le Jour, elle vient d’adresser une longue lettre (admirable) ouverte à Alain Finkielkraut. Elle est consultable à l’adresse :
https://www.lorientlejour.com/article/1160808/lettre-a-alain-finkielkraut.html
S’il faut lire cette lettre dans son entier pour l’apprécier vraiment, laissez-moi vous en délivrer quelques passages forts.
Dominique Eddé débute en exprimant sa solidarité à Alain Finkielkraut : « La violence et la haine qui vous ont été infligées ne m’ont pas seulement indignée, elles m’ont fait mal. Parviendrais-je, dans cette situation, à trouver les mots qui vous diront simultanément ma solidarité et le fond de ma pensée ? Je vais essayer. Car, en m’adressant à vous, je m’adresse aussi, à travers vous, à ceux qui ont envie de paix. »
Mais, aussitôt, elle rappelle à celui auquel elle s’adresse sa suffisance : « Nous nous sommes connus au début des années 1980 à Paris, aux éditions du Seuil, et soigneusement évités depuis. Lors de l’invasion du Liban par Israël, vous n’aviez pas supporté de m’entendre dire qu’un immeuble s’était effondré comme un château de cartes sous le coup d’une bombe à fragmentation israélienne. Cette vérité-là blessait trop la vôtre pour se frayer un chemin. C’est l’arrivée impromptue dans le bureau où nous nous trouvions, de l’historien israélien Saul Friedländer, qui permit de rétablir la vérité. Il connaissait les faits. J’ai respiré. Vous êtes parti sans faire de place à ma colère. Il n’y avait de place, en vous, que pour la vôtre. Durant les décennies qui ont suivi, le syndrome s’est accentué. Vous aviez beau aimer Levinas, penseur par excellence de l’altérité, il vous devenait de plus en plus difficile, voire impossible, de céder le moindre pouce de territoire à celle ou celui que vous ressentiez comme une menace (…) Le plus clair de vos raisonnements est de manière récurrente rattrapé en chemin par votre allergie à ce qui est de nature à le ralentir, à lui faire de l’ombre. Ainsi, l’islam salafiste, notre ennemi commun et, pour des raisons d’expérience, le mien avant d’être le vôtre, vous a-t-il fait plus d’une fois confondre deux milliards de musulmans et une culture millénaire avec un livre, un verset, un slogan. Pour vous, le temps s’est arrêté au moment où le nazisme a décapité l’humanité. Il n’y avait plus d’avenir et de chemin possible que dans l’antériorité. »
Dominique Eddé fustige l’intolérance d’Alain Finkielkraut en termes sévères : « Vous dites que deux menaces pèsent sur la France : la judéophobie et la francophobie. Pourquoi refusez-vous obstinément d’inscrire l’islamophobie dans la liste de vos inquiétudes ? Ce n’est pas faire de la place à l’islamisme que d’en faire aux musulmans. C’est même le contraire. À ne vouloir, à ne pouvoir partager votre malaise avec celui d’un nombre considérable de musulmans français, vous faites ce que le sionisme a fait à ses débuts, lorsqu’il a prétendu que la terre d’Israël était « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Vous niez une partie de la réalité pour en faire exister une autre. Sans prendre la peine de vous représenter, au passage, la frustration, la rage muette de ceux qui, dans vos propos, passent à la trappe. »
Il faut entendre les paroles de Dominique Eddé pour comprendre ce qui se joue à la fois en Palestine et en Israël, d’une part, et dans notre pays, d’autre part. Au-delà des positions outrancières de Finkielkraut.