Le 17 octobre 1961, sur ordre du préfet de police de Paris, Maurice Papon, des flics français ont sauvagement assassiné plus de 200 Algériens et arrêté 12 000 autres à l’issue d’une manifestation pacifique pour protester contre le couvre-feu imposé par le ministre de l’intérieur, Roger Frey.

Ce qui est considéré par des historiens britanniques comme la plus sanglante répression en Europe depuis la Révolution de 1789, a été longtemps occulté et son évocation interdite d’antenne sur les chaînes du service public. C’est mon camarade Marcel Trlllat qui, le premier, consacra un sujet sur le massacre dans le journal télévisé d’Antenne 2. Vingt ans plus tard. Vingt ans trop tard.

Le président de la République l’a commémoré cette année par un simple communiqué et une minute de silence au pont de Bezons hier. Commémoration minimum donc et bien insuffisante. Emmanuel Macron a certes évoqué la responsabilité du préfet de police (« Les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République. »), mais il a tu celle des policiers qui ont mis une ardeur sans précédent à tuer des citoyens manifestant pacifiquement.

La France a du mal à évoquer les crimes les plus horribles perpétrés en son nom. Même l’homme du 18 juin, De Gaulle, est resté muet sur les massacres du 17 octobre 1961.

Maurice Papon ne doit pas faire oublier la responsabilité de ceux qui ont couvert cet horrible massacre et ceux qui ont frappé les Algériens et ont jeté leur corps dans la Seine. La droite, toute la droite, a tenté d’occulter les faits, couvrant ainsi l’ex-secrétaire général de la préfecture de la Gironde, qui, entre 1942 et 1944, a ordonné la déportation de 1690 Juifs de la région bordelaise vers le camp de Drancy puis le camp d’extermination d’Auschwitz.

Ce haut fait a valu à Maurice Papon une brillante carrière de commissaire de la République à la Libération (un comble), puis de préfet, de président de Sud-Aviation, de député, de trésorier de l’UDR et même de ministre du budget de 1978 à 1981. Considéré alors comme un brillant serviteur de l’Etat, il était rompu aux honneurs de la Ve République

Le passé de cet homme abject était cependant connu ; il a été couvert par ses amis de la droite la plus réactionnaire qui soit. Et il a fallu attendre 1998 pour que, à l’issue d’un procès arraché à la suite de révélations du Canard enchaîné en mai 1981, il soit condamné à 10 ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité. Le salaud de la République a pu compter sur de nombreuses complicités au plus haut niveau pour, tour à tour, s’enfuir en Suisse, sortir gaillardement de la prison de la Santé après avoir bénéficié d’une remise en liberté au prétexte qu’il était grabataire et impotent, et se faire enterrer avec la Légion d’honneur dont il avait été déchu.

Condamné pour ses faits de collaboration, il n’a jamais été inquiété, ni pour le massacre des Algériens, ni pour celui du métro Charonne. Et ils sont encore nombreux ceux qui, aujourd’hui, n’ont pas intérêt à rappeler ses crimes. Ni ceux de la police française aux pires moments de son histoire.