Le Forum économique mondial de Davos sera privé de neige, écrivait le quotidien La Tribune ; il est victime lui aussi du coronavirus.

Encore que victime n’est pas le mot le plus approprié pour qualifier la situation. Les dirigeants des grandes nations et les patrons des oligopoles mondiaux ne souffrent pas de la pandémie.

L’ONG Oxfam a publié un rapport à la veille de l’ouverture du forum qui se tient en visioconférence ; il témoigne, au contraire, de la santé insolente des grands groupes industriels. Intitulé ‘’Le virus des inégalités’’, il fait le constat que « Au cours des premiers mois de la pandémie, l’effondrement des marchés boursiers a vu les milliardaires, qui comptent parmi les plus gros actionnaires, accuser des pertes importantes. Ce revers a toutefois été de courte durée. En seulement neuf mois, les
1 000 milliardaires les plus fortunés, principalement des hommes blancs, avaient recouvré toutes leurs pertes. Grâce à un soutien sans précédent des gouvernements pour leur économie, le marché boursier a prospéré et enrichi les milliardaires alors même que l’économie réelle est confrontée à la pire récession depuis un siècle. À titre de comparaison, suite à la crise financière de 2008, il avait fallu cinq ans pour que la richesse des milliardaires retrouve son niveau d’avant la crise. À l’échelle mondiale, les milliardaires ont vu leur fortune augmenter de 3 900 milliards de dollars entre le 18 mars et le 31 décembre 2020. Tout simplement effarant. Leurs fortunes cumulées s’élèvent désormais à 11 950 milliards de dollars, ce qui équivaut aux montants dépensés par les gouvernements du G20 pour faire face à la pandémie. Les 10 milliardaires les plus riches ont quant à eux vu leur fortune augmenter de 540 milliards de dollars au cours de cette période. »

Pendant le même temps, près de la moitié de l’humanité doit vivre avec moins de 5,50 dollars par jour et écrit encore Oxfam, « la crise du coronavirus frappe un monde déjà marqué par des inégalités extrêmes. » Celles-ci « résultent d’un système économique biaisé, qui s’appuie sur des logiques d’exploitation et qui prend racine dans l’économie néolibérale et la confiscation du pouvoir politique par une élite. »

La pauvreté fait plus de victimes que le Covid19 : « D’après les estimations, entre 200 millionset 500 millionsde personnes supplémentaires pourraient avoir basculé dans la pauvreté en 2020. Il faudra sans doute attendre plus d’une décennie avant que le taux de pauvreté ne retrouve son niveau d’avant la crise. »

On aurait pu espérer un sursaut des grands de ce monde, même réunis à distance pour tenter de trouver des solutions à ce virus des inégalités. Après tout, les thèmes à l’agenda de la chic station des Grisons pouvait le laisser croire : ‘’Comment sauver la planète’’, ‘’Des économies plus justes’’, ‘’La technologie pour le bien de tous’’, ‘’Le futur de la santé’’, ‘’Au-delà de la géopolitique’’.

A lire le résumé du thème ‘’Des économies plus justes’’, on se frotte les yeux pour se  persuader qu’on ne rêve pas ; il est écrit que « l’accès à la santé et à l’éducation a permis à des milliards de personnes de sortir de la pauvreté. Mais les inégalités de richesse au sein de nombreuses nations sont montées en flèche, la mobilité sociale s’est inversée et la cohésion a été sapée. »

La grâce n’a pas touché politiques et patrons. Emmanuel Macron, organisateur de son petit Davos annuel (à Versailles quand même) baptisé ‘’Choose France’’ a réuni une centaine de patrons également en visioconférence lundi et il nous a ramené à la dure réalité néolibérale en déclarant à ses invités : « Nous ne ralentirons pas la réduction de l’impôt sur les sociétés, qui sera ramené à 25% l’an prochain. Nous ne renoncerons pas à la suppression de l’ISF. Et nous réduisons les impôts de production de 10 milliards d’euros par an, ce qui est sans précédent.Nous avons passé des réformes, nous sommes en train de prendre des mesures supplémentaires et nous continuerons à réformer le pays afin de le rendre plus compétitif. »

Certes, les invités étaient moins prestigieux que les années précédentes (L’Elysée n’a pu annoncer que la présence de Nestlé, Ericsson, Snapchat, Ferrero ou Solvay), mais le décor est planté : la réduction des inégalités n’est pas au programme de Macron et de son gouvernement. Les riches ont été rassurés quant au contenu du communiqué final du Davos 2021.

Curieusement, les grands médias sont restés très discrets à propos de ce ‘’Choose France’’. Pour que le rêve d’un monde d’après différent du monde d’avant ne donne pas des idées malsaines aux millions de pauvres ?