L’affaire n’a pas d’importance et ne mérite pas vraiment qu’on s’y arrête. Sauf que son protagoniste est le ministre de l’intérieur et qu’elle révèle tout à la fois son inculture, sa suffisance, sa propension à la flatterie des flics et, surtout, le fonds de sa politique.

Dans un message sur son compte Twitter (car, lui, aussi, tweete, comme Trump), il a repris une citation éculée : « Un pays sans police est un grand navire sans boussole et sans gouvernail. »

A vouloir trop bien encenser tous les flics, y compris les ripoux et ceux qui commettent des bavures (de plus en plus fréquentes), il s’est attiré les sarcasmes de ceux qui connaissent cette citation tronquée, extraite du livre d’Alexandre Dumas, Les Mohicans de Paris, paru sous forme de feuilleton entre 1854 et 1855.

Le dialogue d’où est extraite la phrase met en scène Jackal, le chef de la police de sureté et un personnage très trouble, Gibassier :

« – De quoi dépend la grandeur et le salut d’un État ?… De la police, n’est-ce pas ?

– C’est vrai, général.

– Un pays sans police est un grand navire sans boussole et sans gouvernail.

– C’est à la fois juste et poétique, Gibassier.

– On peut donc regarder la mission de l’homme de police comme la plus sainte, la plus délicate et la plus utile à la fois de toutes les missions.

– Ce n’est pas moi qui vous dirai le contraire.

– D’où vient donc, alors, que, pour occuper cette fonction importante, pour remplir cette mission conservatrice, on choisit d’ordinaire des idiots de la plus laide espèce ? D’où vient cela ? Je vais vous le dire : c’est que la police, au lieu de s’occuper des grandes questions gouvernementales, entre dans les détails les plus infimes et se laisse aller à des préoccupations tout à fait indignes d’elle.

Vous élaguez l’arbre, et vous n’osez porter la cognée sur le tronc, et pourquoi cela ? Parce que les malheureux agents que vous employez ont des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre ; parce que vous avez rendu leur mission déshonorante et impopulaire ; parce que vous avez ravalé le mot police en consacrant des intelligences d’élite, non pas à veiller à la sureté de l’Etat, mais à arrêter des voleurs.

– Il y a du vrai dans ce que vous dites, Gibassier, fit M. Jackal en prenant une prise de tabac. »

On pourrait raisonnablement admettre que Darmanin n’ait pas lu Alexandre Dumas ; cela n’est pas un prérequis pour être ministre de l’intérieur. Mais alors pourquoi être allé chercher dans les dictionnaires des citations une phrase, souvent reprise mais incomplète ? Pourquoi avoir couru le risque de se faire ridiculiser par ceux qui ont lu Les Mohicans de Paris ? Et, surtout, pourquoi invoquer Alexandre Dumas qui se situait, lui, dans le camp des progressistes quand on est soi-même un bonimenteur de la pire espèce, digne héritier de la droite la plus conservatrice et la plus répressive ?

Parce que, pour paraphraser Alexandre Dumas, pour remplir cette mission conservatrice du ministère de l’intérieur, on choisit d’ordinaire des idiots de la plus laide espèce !